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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 36e Législature,
Volume 139, Numéro 24

Le mardi 8 février 2000
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 8 février 2000

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, avant de passer aux déclarations de sénateurs, je tiens à signaler la présence à notre tribune d'éminents visiteurs. Nous avons en effet aujourd'hui l'honneur de compter parmi nous Son Excellence Boris Trajkovski, président de la République de Macédoine; il est accompagné de Son Excellence Jordan Vesilenov, ambassadeur de la Macédoine auprès du Canada.

Au nom des sénateurs, je vous souhaite la bienvenue, Excellences, au Sénat du Canada.

Je rappelle aux sénateurs que de nombreux jeunes Canadiens sont actuellement stationnés en Macédoine. Ce pays a énormément aidé le Canada dans ses efforts visant à rétablir la paix dans les Balkans.

Je voudrais signaler aussi la présence à notre tribune de l'honorable Gary Carr, président de l'Assemblée législative de l'Ontario; il est accompagné de M. Claude Desrosiers, greffier de l'assemblée législative.

Soyez les bienvenus, messieurs, au Sénat du Canada.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Mois de l'histoire des Noirs de l'an 2000

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, le premier Mois de l'histoire des Noirs du XXIe siècle a commencé officiellement à minuit le 31 janvier 2000. Pour souligner l'occasion, j'ai assisté au déjeuner annuel marquant le Mois de l'histoire des Noirs à Toronto en compagnie du professeur George Elliott Clarke, de l'honorable Lincoln Alexander et du juge Stanley G. Grizzle.

La reconnaissance de l'histoire des Noirs a fait beaucoup de chemin depuis 1926, alors que Carter G. Woodson, historien, éducateur et éditeur américain noir, a institué l'idée de la Semaine de l'histoire des Noirs en réponse à l'idée couramment admise que les Africains et les descendants d'Africains n'avaient pas d'histoire. Woodson, qui est reconnu comme le père de l'histoire des Noirs, voulait ainsi rappeler les contributions, les expériences et les histoires vécues par les Noirs en Amérique. Il a choisi la deuxième semaine de février, qui marque l'approbation par Abraham Lincoln du treizième amendement à la Constitution des États-Unis abolissant l'esclavage, ainsi que l'anniversaire de naissance d'un ardent défenseur de la cause des Noirs, Frederick Douglass.

Carter Woodson ne voulait pas seulement faire connaître ce riche héritage à sa propre communauté. Il voulait également sensibiliser la société américaine aux nombreuses contributions faites par leurs concitoyens noirs. Ce n'est qu'en 1976, au cours du bicentenaire des États-Unis, que cette semaine de commémoration est devenue le Mois national de l'histoire des Noirs.

Ici au Canada, la défunte Canadian Negro Women's Association a été la première à souligner ce mois à Toronto en 1950. Ce n'est qu'en 1978 toutefois que la ville de Toronto a reconnu le Mois de l'histoire des Noirs. En 1993, le mois a été reconnu officiellement en Ontario pour marquer le 200e anniversaire de la mesure législative adoptée par le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe en vue d'interdire l'importation d'esclaves noirs au Canada.

Le mois de février a été officiellement consacré Mois de l'histoire des Noirs au Canada en 1995. Au cours des six dernières années, les célébrations se sont étendues à tout le pays et elles représentent un hommage aux contributions des Noirs au Canada. En Nouvelle-Écosse, il y a plus de 160 événements qui se tiennent en l'honneur de l'histoire des Noirs. Le thème de notre célébration cette année est «Passons le flambeau, éclairons notre avenir» pour souligner le nouveau millénaire et la nécessité de conférer un sens de la culture à nos jeunes.

J'ai toujours considéré le Mois de l'histoire des Noirs comme un moment privilégié pour promouvoir l'amitié et la compréhension entre les communautés des diverses ethnies. Les manifestions figurant au calendrier de ce mois sont autant d'occasions d'encourager l'harmonie entre les cultures qui, espérons-le, continuera de régner toute l'année durant.

Pour ma part, je prendrai la parole à plus de 14 occasions ce mois-ci, notamment lors d'un gala organisé par l'Association canadienne des avocats noirs en l'honneur des juges noirs au Canada, d'une réception organisée par le haut-commissariat d'Afrique du Sud à l'occasion du dixième anniversaire de la sortie de prison de M. Nelson Mandela, le 11 février 1990, ainsi que d'une réception à laquelle participera le poète et dramaturge George Elliott Clarke, dont la pièce Whylah Falls, acclamée par la critique, sera donnée au Centre national des arts à la fin du mois.

Chacune de ces manifestations souligne l'importance de la diversité au sein des Canadiens. J'espère que tous les honorables sénateurs pourront participer, chacun à sa façon, au Mois de l'histoire des Noirs.

Les Territoires du Nord-Ouest

La réunion de Fort Liard-La motion concernant les projets pétroliers et gaziers

L'honorable Nick G. Sibbeston: Honorables sénateurs, c'est ma première déclaration au Sénat. Je suis honoré de prendre la parole au nom de la population des Territoires du Nord-Ouest. Les 25 et 26 janvier derniers, des chefs et d'autres dirigeants autochtones se sont réunis à Fort Liard, dans les Territoires du Nord-Ouest, pour traiter du dossier de l'exploitation pétrolière et gazière et notamment du pipeline devant s'étendre depuis l'Arctique jusqu'au sud de notre pays et aux États-Unis. Les sénateurs se rappelleront sans doute qu'au milieu des années 70, un énorme gazoduc devait être construit par des multinationales le long de la vallée du Mackenzie en vue d'acheminer le gaz naturel de l'Arctique et de l'Alaska vers les marchés du sud.

Cette question a poussé le gouvernement fédéral à mettre sur pied la commission d'enquête Berger, qui s'est penchée sur de nombreuses questions entourant la construction d'un pipeline dans la vallée du Mackenzie. À la fin de l'enquête, M. Thomas Berger a déclaré ce qui suit:

[...] si l'on construisait aujourd'hui un pipeline dans la Mackenzie, ses avantages économiques seraient limités; son impact social serait dévastateur et il irait à l'encontre des objectifs des revendications autochtones.

En guise de conclusion, M. Berger a dit que la construction d'un gazoduc devrait faire l'objet d'un moratoire de dix ans. Le gouvernement de l'époque a suivi les recommandations et aucun pipeline n'a été construit.

Il y a environ 23 ans que M. Berger a fait ses recommandations et d'heureux changements ont marqué la vie des habitants du Nord.

Les autochtones du Nord sont beaucoup mieux en mesure d'intervenir dans les dossiers de développement comme ceux des mines et des pipelines. Le niveau d'éducation, l'expérience dans le travail technologique et la confiance des gens de prendre part au développement ont augmenté. Les revendications territoriales ont été réglées ou sont sur le point de l'être avec la majorité des autochtones du Nord. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est devenu un gouvernement responsable. Les gens ont l'expérience de la mise en valeur du pétrole et du gaz ainsi que des petits pipelines.

Dans l'ensemble, les gens sont mieux en mesure d'envisager des aménagements comme les gros pipelines qui sont proposés de nouveau dans la vallée du Mackenzie. Par conséquent, à l'occasion de la rencontre de Liard, les chefs ont adopté la motion suivante:

Nous, autochtones des Territoires du Nord-Ouest, acceptons en principe d'établir un partenariat en vue de maximiser la propriété et les avantages d'un pipeline dans la vallée du Mackenzie.

Les chefs et les dirigeants autochtones désirent laisser savoir que les temps ont changé. Les autochtones ne s'opposent plus à des projets comme celui d'un énorme gazoduc qui traverserait leurs terres. Toutefois, ils entendent participer à tous les aspects du projet, soit la planification, le choix du tracé, la construction et, surtout, la propriété du pipeline.

Honorables sénateurs, cette motion est importante pour tous les habitants du Nord. Ceux d'entre nous qui avons été mêlés aux activités gouvernementales et à la politique dans le Nord sont au courant des périodes difficiles que les autochtones du Nord ont connues au cours des dernières décennies. Ces années ont été marquées par la lutte pour l'obtention de leurs droits et l'acquisition de la place qui leur revient dans la société du Nord. Cette motion marque le début d'une nouvelle ère marquée du signe de l'espoir et de la volonté de participer à des projets économiques comme celui de la construction d'un énorme gazoduc en tant que partenaires, au lieu de n'être que des spectateurs. Si les gouvernements ainsi que les producteurs de pétrole et de gaz peuvent tenir compte de cette nouvelle orientation et être des partenaires bien disposés, l'avenir du Nord augure bien pour tous les habitants des Territoires du Nord-Ouest.

Le décès de Halinka Dyer

Hommage

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, je voudrais aujourd'hui rendre hommage à une personne que je considère comme l'une des héroïnes méconnues du Sénat. Je déplore la perte prématurée de mon adjointe et amie, Halinka Dyer. Le 21 décembre 1999, le monde a perdu la chère épouse de David, la mère dévouée de Jay, Jordan, Spencer et Matthew, la fille et la s9ur de la famille Tubin et aussi une grande amie pour beaucoup d'entre nous. Je ne trouve pas les mots justes pour vous décrire l'impact qu'a eu Halinka sur diverses personnes.

(1420)

Halinka était avant tout, comme je l'ai dit, une épouse et une mère aimante et dévouée. Pour moi, c'était une associée et une amie comme on en voit peu. Son esprit brillant et son sens de l'organisation exemplaire en ont fait pour mon bureau et les bureaux d'autres sénateurs qui lui demandaient avis et assistance une personne-ressource qui sera peut-être irremplaçable. Elle brillait par son enthousiasme pour la vie et son attitude positive, lorsqu'elle allait dans l'édifice Victoria tendant la main à tous.

J'ai décidé de rendre hommage à cette jeune personne de 46 ans que nous avons perdue pour deux raisons: pour remercier sa famille d'avoir bien voulu partager Halinka avec nous et pour remercier ses amis qui me l'ont recommandée. Elle incarnait la vie, qu'il s'agisse de faire du jogging, une expérience que j'ai été assez fou de partager parfois avec elle, ou de mettre à l'aise les gens qui venaient à mon bureau.

Cependant, la véritable raison pour laquelle j'ai pris la parole aujourd'hui, c'est pour amener au premier plan ce qui, selon moi, doit être une priorité pour nous tous et qui exige notre attention immédiate. Nous avons perdu Halinka à cause de cette maladie redoutable qu'est le cancer du sein - une maladie qui nous prend nos grands-mères, nos mères, nos épouses, nos filles, nos s9urs et nos nièces en nombre effarant et beaucoup trop tôt dans la vie. Non, ce n'est pas un groupe d'intérêt spécial bruyant qui cherche de la publicité et de l'attention de façon disproportionnée. Ces femmes sont trop occupées en tant que mères, grands-mères et épouses à se donner sans rien demander d'autre en retour qu'un amour inconditionnel.

Notre Halinka était l'une d'elles et c'est dans cet esprit qu'elle s'est toujours présentée. C'est pourquoi je demande aujourd'hui à chacun des sénateurs en cette enceinte d'épouser cette cause, s'ils ne l'ont pas déjà fait. On ne sait jamais - si nous faisons tous un peu, nous pouvons faire et nous ferons une différence dans le combat contre cette terrible maladie.

Honorables sénateurs, j'ai eu le privilège de faire partie du Sénat et de servir à l'autre Chambre, et j'ai du mal à croire que, en tant que Canadiens, nous n'ayons pas consacré plus de fonds à lutter contre le cancer du sein. J'aurais moi-même dû reconnaître cette urgence plus tôt. Toutefois, je m'engage à faire plus à partir d'aujourd'hui pour cette question cruciale.

Halinka, vous resterez toujours dans notre mémoire et vous nous manquerez.

[Français]

La Commission de toponymie du Québec

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, le 18 novembre dernier, en réponse à la requête de messieurs Giuseppe Sciortino et Enrico Riggi, la Commission de toponymie du Québec acceptait de modifier le nom du pont Papineau-Leblanc pour honorer la mémoire de notre ancien collègue et ami, Pietro Rizzuto. Il est important de rappeler que dans leurs démarches auprès de la commission, MM. Sciortino et Riggi avaient reçu l'appui de personnalités publiques issues de divers milieux.

En soutenant une telle initiative, ces femmes et ces hommes entendaient célébrer la mémoire de ce fils de l'Italie qui, arrivé à Montréal au début des années 50, sans autre ressource que son intelligence, son courage et sa débrouillardise, ne parlant ni anglais ni français, allait devenir un homme d'affaires canadien respecté et prospère.

En nommant une structure aussi importante en son honneur, les partisans de Pietro Rizzuto souhaitaient également souligner son dévouement aux collectivités québécoise et canadienne. Cet engagement, Pietro Rizzuto l'a démontré par sa volonté d'intégrer pleinement la société qui l'a accueilli. Il l'a également prouvé à travers son activité politique. Pour Pietro Rizzuto, il était tout à fait normal de consacrer une grande partie de son énergie au bien-être d'un pays qui lui avait permis de s'accomplir professionnellement et où il avait fondé, avec son épouse Pina, une famille.

Malheureusement, le projet qui devait consacrer la carrière d'un homme admirable a provoqué une levée de boucliers. Du jour au lendemain, devant des protestations de plus en plus nombreuses, MM. Sciortino et Riggi ont dû défendre la décision de la commission.

Par principe, certains se sont opposés à l'idée même de changer le nom d'une structure. Je ne voudrais pas débattre ici des mérites et des démérites d'un tel procédé. Il est cependant important de rappeler que de tels moyens ont déjà été utilisés pour honorer la mémoire de personnalités québécoises, et que cette méthode est régulièrement employée en France et ailleurs. Il nous reste à souhaiter, au nom de la rigueur intellectuelle, que les défenseurs assidus et zélés du patrimoine toponymique québécois auraient fait preuve de la même détermination si la Commission de toponymie avait débaptisé le pont Papineau-Leblanc pour honorer la mémoire de Camille Laurin ou de Gérald Godin.

Si les opposants au projet s'étaient contentés de discuter du pour et du contre des révisions toponymiques, la polémique suscitée par la décision de la Commission de toponymie aurait été défendable pour les proches de Pietro Rizzuto.

Malheureusement, la réputation de Pietro Rizzuto a été remise en cause par certains qui ont voulu juger des mérites de l'homme. Des faussetés ont été écrites alors que des rumeurs non fondées ont circulé. Pietro Rizzuto et sa famille ne méritaient pas un tel traitement.

Si quelques propos ont injustement semé le doute sur la réputation de Pietro Rizzuto, certains politiciens ont, de leur côté, agi de façon peu honorable. Je pense à ces députés et ministres qui n'ont su saisir l'occasion qui s'offrait à eux de tisser des liens entre les communautés. Je pense également à ce maire qui, incapable de respecter sa parole, a brusquement changé d'opinion devant une pétition. Je pense enfin à cette ministre, toujours prête à se draper de vertu, qui a déclaré que Pietro Rizzuto méritait mieux que cette polémique mais n'a trouvé rien de mieux à faire que de se cacher derrière ses fonctionnaires, refusant ainsi de prendre ses responsabilités.

En immortalisant le nom de notre ancien collègue, les supporters du pont Pietro Rizzuto entendaient célébrer l'importante contribution des diverses communautés culturelles à la société québécoise. Depuis plus d'un siècle, des immigrants issus des quatre coins de la planète sont venus s'établir aux côtés des descendants des colons français, des Anglais et des Premières nations. À l'instar de Pietro Rizzuto, ils ont participé au développement et à l'enrichissement du Québec.

L'apport important des nouveaux citoyens à la société québécoise doit être reconnu à sa juste valeur. Sans renier notre passé, la toponymie devrait également refléter la réalité de la société québécoise. L'initiative de MM. Sciortino et Riggi allait dans ce sens.

[Traduction]

La Maison Vimy

L'honorable Norman K. Atkins: Honorables sénateurs, je voudrais attirer de nouveau votre attention sur la Maison Vimy. En décembre, au cours d'une période des questions, le sénateur Boudreau a dit qu'il aimerait mieux connaître cette institution. Je tiens à signaler qu'il a réalisé ce souhait et que nous avons tous deux visité cette institution le 11 janvier 2000.

À l'intention de nos collègues qui ne connaissent pas la Maison Vimy, je dirai qu'il s'agit d'une institution où sont entreposés un grand nombre d'oeuvres d'art militaire et des trésors nationaux qui ne peuvent être exposés au Musée canadien de la guerre. C'est d'ailleurs le personnel de la Maison Vimy qui a supervisé la restauration des huit tableaux qui ornent les murs du Sénat.

Comme certains des honorables sénateurs le savent, je suis vivement en faveur de la construction d'un nouveau Musée canadien de la guerre adjacent au Musée national de l'aviation, à Rockliffe, un édifice qui permettrait d'exposer une beaucoup plus grande partie de notre collection nationale.

Chaque fois que je visite la Maison Vimy, je suis étonné de constater le grand nombre de peintures et de dessins de guerre exécutés par des artistes du Canada ou d'ailleurs dans le monde que les Canadiens n'ont pas la chance de voir et d'apprécier, sans parler des objets d'art, des pièces d'artillerie et des véhicules qui y sont entreposés ou conservés dans des emballages ou dans des caisses, et qui représentent des souvenirs des divers conflits, guerres et missions de maintien de la paix auxquels nos militaires ont participé.

Plus les Canadiens auront l'occasion de voir ces objets et plus ils comprendront le sacrifice et le rôle incroyables des Canadiens qui ont servi sur les divers théâtres de guerre. Cela permettrait aux Canadiens de mieux comprendre pourquoi les anciens combattants et les membres de la Légion canadienne sont si fiers et si convaincus que les Canadiens ne devraient jamais oublier leur contribution à la cause de la paix et de la liberté et ne jamais tenir pour acquise la liberté dont nous jouissons tous.

(1430)

Honorables sénateurs, j'espère que vous aurez le temps de visiter la maison Vimy, afin que vous puissiez comprendre à quel point il est important de soutenir la campagne de construction du nouveau Musée canadien de la guerre.

Des voix: Bravo!

Le Mois de sensibilisation à l'Alzheimer

L'honorable Catherine S. Callbeck: Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour souligner que janvier était le Mois de sensibilisation à l'Alzheimer. Le Mois de sensibilisation à l'Alzheimer est parrainé par la Société Alzheimer, qui comprend un bureau national, 10 organismes provinciaux et un certain nombre de groupes locaux dans tout le pays.

La maladie d'Alzheimer est une maladie progressive et dégénérative du cerveau qui détruit graduellement les cellules vitales du cerveau. On n'en connaît ni la cause ni le remède. Cependant, cette maladie est liée à l'âge. Par conséquent, à mesure que la population vieillit, le nombre de personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer augmentera.

Aujourd'hui, au Canada, environ 300 000 personnes souffriraient de cette maladie. Cependant, on dit que, dans 30 ans, le nombre de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer aura presque doublé, passant à plus de 750 000 personnes dans tout le pays. À défaut d'une planification ou d'une stratégie pour faire face à une telle augmentation, les conséquences seront probablement désastreuses. Les plus évidentes sont les effets de cette maladie sur notre système de santé et sur nos budgets. Cependant, si les ressources ou les réseaux de soutien sont insuffisants pour faire face à l'accroissement du nombre de personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer, les conséquences pourraient également être négatives pour la qualité de vie de ces malades et celle des spécialistes en soins primaires.

Stephen Rudin, de la Société Alzheimer du Canada, a parlé de la crise imminente dans un récent article portant sur ce problème, un problème qui, à son avis, prendra lentement, mais progressivement de l'ampleur au cours des quelques prochaines années.

Les Sociétés Alzheimer, dont le fonctionnement est assuré en grande partie par des bénévoles, continuent de travailler sans relâche pour fournir leurs nombreux services aux patients et à leurs familles. En outre, certaines d'entre elles ont commencé à collaborer avec les gouvernements provinciaux car elles savent bien qu'il faut une stratégie globale pour lutter contre cette maladie. Par exemple, la Société Alzheimer de l'Île-du-Prince-Édouard a mis au point une stratégie de soins pour les gens atteints de la maladie et de la démence afférente qu'elle compte présenter au gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard plus tard au cours du mois. Cette stratégie vise à élaborer un système coordonné de soins répondant aux besoins uniques des malades souffrant de cette maladie. Les mesures prises jusqu'à maintenant par les organisations et les gouvernements provinciaux sont valables et méritent d'être applaudies, mais ce n'est qu'un début. Il faudra multiplier les études et les mesures de sensibilisation et mieux coordonner les services.

Cela dit, j'attends avec impatience le début des travaux du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur les soins de santé au Canada, qui doivent commencer au cours du mois; nous pourrons alors étudier les impacts de cette maladie sur les soins de santé.

[Français]

La Cour suprême

La décision rendue sur les droits scolaires des francophones de Summerside dans l'Île-du-Prince-Édouard

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, je tiens à souligner l'importante décision de la Cour suprême rendue récemment en matière de droit scolaire.

La Cour suprême, dans l'arrêt Arsenault-Cameron, reconnaît aux parents d'enfants francophones de Summerside le droit constitutionnel d'avoir une école de langue française. Le critère exigeant un nombre suffisant d'élèves (entre 49 et 155) est respecté. Ce critère repose à la fois sur la demande connue et sur le nombre total d'élèves qui pourraient éventuellement se prévaloir du service offert.

En l'espèce, le refus du gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard de suivre l'avis de la commission scolaire de langue française et d'établir une école pour les enfants francophones de Summerside a pour effet de priver ces enfants d'une école à proximité de leur résidence et de nier le caractère réparateur de l'article 23 de la Charte.

La Cour suprême affirme d'ailleurs que, bien que les gouvernements provinciaux doivent «faire ce qui est pratiquement faisable» pour assurer le respect de l'article 23 de la Charte, cette disposition a aussi pour but de faire des «deux groupes linguistiques officiels des partenaires égaux dans le domaine de l'éducation». La cour reconnaît ainsi que la minorité de langue officielle est titulaire du droit visé à l'article 23 de la Charte. Ce faisant, elle consacre expressément un droit collectif.

La Cour suprême admet aussi que la notion d'égalité réelle exige que la minorité visée soit traitée différemment de la majorité afin que le niveau d'éducation offert soit équivalent. Chaque cas, bien sûr, est un cas d'espèce.

Le décès de Mme Anne Hébert

Hommage

L'honorable Lucie Pépin: Honorables sénateurs, le samedi 22 janvier dernier, un phare de la littérature canadienne-française et québécoise nous a quittés; Anne Hébert, l'auteur de Kamouraska et récipiendaire du prix Femina en 1982 pour Les Fous de Bassan, s'est éteinte à Montréal, à l'âge de 83 ans, des suites d'un cancer.

Née le 1er août 1916 à Fossambault-sur-le-Lac, aujourd'hui Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, un petit village situé à 40 kilomètres au nord-ouest de Québec, Anne Hébert a grandi dans un milieu familial propice à l'éclosion de son talent; son père, d'origine acadienne, était un poète et un critique littéraire respecté, membre de la Société royale du Canada. De descendance noble par sa mère, Anne Hébert passa ses étés d'enfance et d'adolescence tantôt à Sainte-Catherine, tantôt à Kamouraska, côtoyant les paysages marins, les vastes campagnes et la forêt. Ces moments de jeunesse passés avec la nature, Anne Hébert ne cessera de les recréer dans son oeuvre éprise d'une grande sensibilité.

C'est en 1939 qu'Anne Hébert publie ses premiers poèmes dans des périodiques. Très vite, ses talents de poète sont reconnus: dès 1943, elle reçoit le troisième prix au concours du prix Athanase-David pour son premier recueil de poèmes, Les Songes en équilibre. Cette première reconnaissance sera le prélude d'une série de prix nationaux et internationaux très estimés qui marqueront la carrière d'Anne Hébert - elle en recevra une vingtaine entre 1943 et 1999.

La carrière d'Anne Hébert a aussi été marquée de quelques embûches, que connaissent malheureusement trop bien nos artistes. Même après avoir reçu le troisième prix au concours du prix Athanase-David en 1943, les éditeurs refusent de publier sa deuxième oeuvre, Le Torrent. C'est à compte d'auteure qu'elle devra la publier aux Éditions du Bien public de Trois-Rivières. Son oeuvre maîtresse, Le Tombeau des rois, connaîtra le même sort.

Première femme francophone scénariste de l'Office national du film, Anne Hébert n'a pas craint les limites que son époque réservait aux femmes, puisque les milieux intellectuels et les cercles littéraires n'étaient pas toujours prêts à leur ouvrir la porte de l'intimité de leurs activités. Refusant le silence qui était alors le lot des femmes, Mme Hébert a pris la plume pour exprimer sa révolte contre les carcans qui pesaient sur son sexe. Qui plus est, son oeuvre et le personnage lui-même sont sources d'inspiration extrêmement stimulantes pour le genre féminin. En effet, l'oeuvre d'Anne Hébert est porteuse de personnages féminins très puissants, de femmes déterminées, autonomes, des femmes libres à leur façon. L'auteure aura ainsi marqué toute une génération de femmes, en questionnant les rôles restreints que la société leur réserve et les rapports entre les femmes et les hommes. En 1982, Anne Hébert elle-même deviendra un véritable modèle pour les filles et les femmes passionnées de littérature; comme Gabrielle Roy, Marie-Claire Blais et Antonine Maillet, elle recevra un prix littéraire de très grand prestige, le prix Femina, pour Les Fous de Bassan. Son apport à l'amélioration des conditions de vie des Canadiennes est énorme.

L'oeuvre d'Anne Hébert en est une de vérité, de sensibilité, de force et de passion. S'y côtoient des valeurs conflictuelles que la romancière a su réconcilier pour nous emporter dans ses rêves.

Lors du discours qu'il prononçait à la Bibliothèque nationale du Québec en janvier 1995, à l'occasion de la remise du prix Gilles-Corbeil de la Fondation Émile-Nelligan, Pierre Nepveu écrivait à propos de l'oeuvre d'Anne Hébert:

L'oeuvre d'Anne Hébert nous dit plutôt ce qu'il y a d'essentiel et de plus noble dans le romantisme: que le réel ne vit et n'a de sens que par la passion qui y surgit, par ce noyau intérieur fait de lumière et de nuit, d'anges et de démons.

Anne Hébert, vous resterez à jamais présente dans nos c9urs, notre culture, notre histoire et notre esprit.


[Traduction]

(1440)

AFFAIRES COURANTES

L'Accord définitif Nisga'a et les annexes L'Accord fiscal de la nation nisga'a

Dépôt

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer l'Accord définitif nisga'a, avec les annexes, ainsi que l'Accord fiscal de la nation nisga'a.

Les pêches

Présentation du rapport du comité demandant l'autorisation d'engager du personnel et de se déplacer

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches, qui demande d'accorder au comité les pouvoirs liés à l'étude des questions relatives à l'industrie des pêches.

Le mardi 8 février 2000

Le Comité sénatorial permanent des pêches a l'honneur de présenter son

DEUXIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé par le Sénat le 7 décembre 1999 à étudier et présenter un rapport sur des questions relatives à l'industrie des pêches et de faire rapport au plus tard le 12 décembre 2000 demande respectueusement que le Comité soit autorisé à retenir les services d'avocats, de conseillers techniques et de tout autre personnel jugé nécessaire, ainsi qu'à se déplacer d'un endroit à l'autre au Canada aux fins de son enquête.

Le budget fut présenté au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration le jeudi 9 décembre 1999. Dans son deuxième rapport le Comité de la régie interne a noté qu'il procède à une étude de la situation budgétaire des comités du Sénat et fait la recommandation que 6/12 des fonds accordés soit libérés d'ici le 10 février 2000. Ce rapport fut adopté par le Sénat le mardi 14 décembre 1999.

Respectueusement soumis,

Le président,
GERALD J. COMEAU

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Comeau, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

L'ajournement

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 9 février 2000, à 13 h 30;

Que, à 15 h 30 demain, si le Sénat n'a pas terminé ses travaux, le Président interrompe les délibérations pour ajourner le Sénat;

Que, si un vote est différé à 17 h 30 demain, le Président interrompe les délibérations à 15 h 30 pour suspendre la séance jusqu'à 17 h 30 pour la mise aux voix du vote différé; et

Que tous les points figurant à l'ordre du jour et au Feuilleton des avis qui n'ont pas été abordés demeurent dans leur ordre actuel.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

Le code criminel

Projet de loi modificatif-Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-202, Loi modifiant le Code criminel (fuite).

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Hays, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance dujeudi 10 février 2000.)

Le financement de l'enseignement postsecondaire

Avis d'interpellation

L'honorable Norman K. Atkins: Honorables sénateurs, je donne préavis que, le mardi 15 février 2000, j'attirerai l'attention du Sénat sur le financement de l'enseignement postsecondaire au Canada, particulièrement la partie du financement qu'assument les étudiants, en vue d'élaborer des politiques qui viseront à amoindrir le fardeau de la dette des étudiants au niveau postsecondaire au Canada.

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

L'Autriche-La possibilité du rappel de l'ambassadeur en réaction à la nomination de Joerg Haider au nouveau gouvernement

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le ministre pourrait-il nous dire si le gouvernement a l'intention de rappeler l'ambassadeur du Canada en Autriche en vue d'évaluer quelle pourrait être une réaction appropriée, et typiquement canadienne, à la participation de Joerg Haider et de son parti de la Liberté au nouveau gouvernement autrichien de coalition?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je n'ai pour le moment aucune information à cet égard. Je puis toutefois communiquer la question au ministre des Affaires étrangères et du Commerce international et faire part de la réponse à l'honorable sénateur en temps voulu.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, hier, notre ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, à la suite d'une rencontre avec Jaime Gama, ministre des Affaires étrangères du Portugal, et Christopher Patten, commissaire aux Affaires extérieures de l'Union européenne, a dit que le Canada suivrait la position de l'Union européenne à l'égard de l'Autriche.

Quand notre gouvernement prendra-t-il l'initiative dans des dossiers dans lesquels le Canada, vu son intérêt pour les droits de la personne et sa feuille de route en la matière, devrait très clairement faire figure de leader au lieu de se contenter d'emboîter le pas à quelqu'un d'autre?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je ne doute pas que le ministre est en contact avec l'ambassadeur et les représentants du gouvernement canadien en Autriche. Pour le moment, je ne sais pas si des mesures précises sont envisagées ni s'il y aura une déclaration publique du ministre.

Le développement des ressources humaines

Les programmes de création d'emplois-La possibilité de mauvaise gestion des fonds-Demande de dépôt des documents utilisés par le premier ministre pour répondre aux questions

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, il est bien triste que le gouvernement en soit réduit à utiliser ses ressources et celles de la bureaucratie pour transformer le travail légitime que font les parlementaires de toutes allégeances politiques pour leurs électeurs en un sale outil de propagande, un outil de tricherie, comme on le disait dans le National Post d'aujourd'hui.

Le leader du gouvernement au Sénat s'engagerait-il à obtenir les documents et les lettres qui ont été fournis au premier ministre par le leader du gouvernement à l'autre endroit et que le premier ministre a utilisés hier pour éviter de répondre à des questions directes sur le fouillis du ministère du Développement des ressources humaines?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne sais pas au juste quels documents ont pu être utilisés à l'autre endroit pour donner des réponses au cours de la période des questions.

Il importe de situer cette affaire dans son contexte et puisqu'on parle de fouillis, je me dois d'essayer tout au moins de le faire. Je le fais sans minimiser d'aucune façon l'importance d'une vérification interne, et j'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une vérification interne, ni la nécessité de donner suite aux résultats de cette vérification.

Je dois néanmoins signaler à l'honorable sénateur que Développement des ressources humaines Canada gère des programmes de quelque 3 milliards de dollars. Sept d'entre eux, totalisant 1 milliard de dollars, ont fait l'objet d'une vérification, mais non les autres, dont la valeur s'élève à 2 milliards de dollars.

(1450)

À l'intérieur de cette enveloppe d'un milliard de dollars, quelque 459 dossiers ont été choisis au hasard par les vérificateurs. Ces dossiers représentaient des dépenses d'environ 200 millions de dollars. Nous sommes maintenant passés d'une somme de 3 milliards de dollars à environ 200 millions de dollars. On a jugé que 37 de ces 459 dossiers méritaient qu'on s'y attarde davantage. La valeur des 37 dossiers ciblés était d'environ 33 millions de dollars. Sur les 33 millions de dollars en question, environ 11 à 12 millions de dollars ont été expliqués de façon satisfaisante pour les vérificateurs. En fait, on se penche à l'heure actuelle de façon active sur le reste de ce montant.

Il faut garder tout cela à l'esprit lorsqu'on discute de toute cette question.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, le ministre a bien lu les propos suggérés par le cabinet du premier ministre. En fait, ils ont été publiés dans le journal l'autre jour.

Cependant, le ministre n'a pas répondu à ma question. S'il avait suivi la période des questions d'hier, il aurait vu que chaque fois qu'un député de l'opposition posait une question à ce sujet, il ne recevait pas de réponse. À la place, on lisait aux députés de l'opposition une lettre versée au dossier d'une façon tout à fait légitime. La situation créée par le gouvernement fait que les députés ne sont pas en mesure de faire leur travail au nom de leurs électeurs.

Je repose la question au ministre. Va-t-il déposer ces documents? En particulier, va-t-il obtenir pour les sénateurs les documents auxquels le premier ministre a fait allusion et notamment toutes les lettres et tous les documents rédigés par Jean Chrétien, le député de Saint-Maurice, ou en son nom et appuyant des projets dans cette circonscription?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, le contexte dans lequel j'ai placé cette question est important. Il s'agit surtout de savoir si les faits que j'ai présentés au Sénat sont exacts ou non, peu importe d'où ils viennent.

Je n'ai pas regardé la période des questions d'hier. Malheureusement, j'étais pris ailleurs. Cependant, je suppose que ce que le premier ministre a essayé de faire ressemble à ce que je voudrais faire moi-même ici aujourd'hui, c'est de dire que les programmes assujettis à la vérification sont de bons programmes. Ils ont donné des emplois aux Canadiens.

Je ne fais que supposer que le premier ministre essayait peut-être de signaler que les députés de l'opposition reconnaissent également qu'il s'agit de bons programmes qui ont amélioré la vie des habitants de leurs circonscriptions.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, le leader du gouvernement à l'autre endroit avait une chemise pleine de lettres écrites par des députés pour appuyer des projets dans leurs circonscriptions. Le gouvernement a, de toute évidence, été en mesure de produire ces documents rapidement, mais il est incapable de rendre compte des millions et millions de dollars qui ont été dépensés et de produire les pièces justificatives.

Je demande encore une fois au leader du gouvernement au Sénat de déposer ces documents et, en particulier, des copies de toutes les lettres écrites à l'appui de projets dans Saint-Maurice par le député de cette circonscription, M. Jean Chrétien. Il doit certainement y avoir toute une pile de lettres à son nom.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, il est probable que tous les députés, sans exception, ont écrit des lettres de temps à autre pour appuyer l'obtention de subventions provenant des sept programmes dont il est question. Je me demande s'il est bien raisonnable de demander des copies de toutes ces lettres.

Nous devons, encore une fois, nous replacer dans le contexte. Il est ici question d'objections formulées et de carences révélées à la suite d'une vérification. Les carences révélées par la vérification couvrent toute la gamme des carences, y compris l'omission de produire des pièces justificatives pour une dépense donnée. Le montant total en cause n'est maintenant plus que d'environ 20 millions de dollars.

Si madame le sénateur examine les 37 projets au sujet desquels la vérification a mis au jour des contradictions ou des carences, elle constatera que 29 de ces 37 projets, c'est-à-dire la grande majorité d'entre eux, faisaient partie du Programme d'emplois des jeunes, du Programme de développement social ou du Programme d'apprentissage et d'alphabétisation. Or, l'expérience a démontré que ces organisations ne disposent pas toujours des mêmes compétences que les grandes compagnies. Dans bien des cas, elles n'ont pas su satisfaire toutes les exigences. Si madame le sénateur veut bien examiner la chose de façon pondérée et dans son juste contexte, elle verra que 29 des 37 projets faisaient partie de ces trois programmes, qui sont tous de bons programmes.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, j'aimerais savoir où se situe Wiarton Willie.

Le sénateur Boudreau: Le ministère du Développement des ressources humaines du Canada compte quelque 30 000 dossiers ou cas. Tous les honorables sénateurs voudraient certainement que certains d'entre eux soient traités de façon plus efficace. En fait, les vérificateurs ont relevé 37 dossiers qui avaient besoin d'être régularisés. La ministre a déjà dit qu'elle a commencé à le faire et qu'elle continuera.

Ne compromettons pas ces programmes. À l'instar de bien d'autres sénateurs des deux côtés de cette Chambre, je viens d'une région de notre pays où ces programmes sont extrêmement importants et où ils ont été très efficaces. Nous ne pouvons compromettre la survie de ces programmes à cause de ce problème particulier.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, c'est le gouvernement qui les a compromis en attirant l'attention sur des députés qui ont écrit au ministère des lettres légitimes au nom de leurs électeurs. À cause de cela, les députés ne voudront plus jamais appuyer un programme gouvernemental dans leur circonscription, de crainte de devenir un instrument de propagande.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, c'est peut-être le cas de certains députés. Cependant, je doute que ce soit le cas pour bon nombre d'entre eux. Des députés ont écrit des lettres à l'appui de ces programmes; je pense que c'est une bonne chose et qu'ils devraient continuer de le faire s'ils croient honnêtement que le programme est valable et que leurs électeurs peuvent en bénéficier. Je pense qu'ils continueront d'écrire, comme ils l'ont fait dans le passé, parce qu'ils croient à la valeur de ces programmes.

La pauvreté

Demande de programmes visant à éliminer ses conditions

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Pendant le congé de Noël, deux importants rapports traitant des conditions sociales au Canada ont été rendus publics. Le premier rapport a été présenté par le groupe de travail du caucus national progressiste-conservateur sur la pauvreté et il contient de nombreuses recommandations valables qui s'appuient sur le remarquable constat suivant:

Par-dessus tout, nous avons été mortifiés par l'importance et l'ampleur de la pauvreté au Canada...

Le deuxième rapport dont je veux parler, c'est celui du groupe de travail libéral sur les problèmes de l'ouest du Canada, qui traite aussi de la pauvreté et qui mentionne ceci:

Le visage de la pauvreté rajeunit. Les enfants qui vivent dans la pauvreté risquent davantage de sombrer dans le commerce du sexe et de la drogue, d'abandonner leurs études ou de participer à des activités criminelles.

À la lumière de ces deux rapports qui transcendent les lignes de parti, je voudrais poser au ministre la question suivante: si nous ne pouvons enrayer l'énorme problème de la pauvreté au Canada alors que notre économie est actuellement solide, que le chômage est à la baisse, que les marchés boursiers sont florissants et que le gouvernement accumule des excédents, quand serons-nous en mesure de le faire?

(1500)

Comme les partis s'entendent pour dire qu'il faut agir, le gouvernement fera-t-il maintenant de l'éradication de la pauvreté une grande priorité nationale?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie le sénateur de sa question. C'est une question importante, voire capitale, pour le gouvernement aujourd'hui. La réponse du gouvernement au sujet du programme des sans-abri constitue un élément de notre engagement renouvelé de régler des problèmes sociaux d'une manière très positive, constructive et productive.

J'ai entendu, soit dit en passant, que certains des sans-abri pourraient peut-être bénéficier de certains des programmes de DRHC faisant maintenant l'objet d'un débat. C'est peut-être vrai. Si l'on s'arrête aux statistiques concernant la pauvreté chez les jeunes sans emploi, leur niveau d'instruction et leurs possibilités d'emploi correspondantes, on se rend compte de l'importance des programmes d'apprentissage et d'alphabétisation, notamment. C'est un problème global.

Le sénateur Di Nino: Souvenez-vous de la TPS!

Le sénateur Boudreau: Je porterai certainement le point de vue du sénateur à l'attention de mes collègues du Cabinet.

Le sénateur Roche: Je remercie le ministre. Le ministre a parlé des sans-abri dans sa réponse. Je me demande s'il a remarqué, dans le rapport du groupe de travail libéral sur l'ouest du Canada, la déclaration selon laquelle, à Edmonton, quelque 42 p. 100 des sans-abri de la ville sont des autochtones. Le groupe de travail dit que les jeunes autochtones urbains sont particulièrement à risque. Je demande au ministre de nous dire si, dans le prochain budget, on portera une attention particulière à ce grave problème.

Le sénateur Boudreau: Le sénateur sait, évidemment, que je ne puis l'informer sur les mesures particulières qui seront énoncées dans le budget. Cependant, il souligne un problème sérieux relatif aux jeunes autochtones urbains, problème qui existe dans tout le pays, mais qui est particulièrement évident dans les provinces de l'Ouest et dans des villes comme Winnipeg. Certains programmes nationaux, et cela comprend le nouveau programme des sans-abri, seront certes utiles, mais il faut envisager d'autres mesures. J'appuie certainement le point de vue du sénateur à cet égard, et je le soulèverai chaque fois que j'en aurai l'occasion.

L'industrie

La Nouvelle-Écosse-Les emplois perdus aux bureaux de la Banque Royale à Halifax

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Halifax va perdre 310 postes du service à la clientèle et du soutien administratif de la Banque Royale dans le cadre de la restructuration nationale de la prestation de services de cette banque. Ces emplois seront déménagés à Toronto et à Montréal en juillet prochain et 340 membres du personnel de deux bureaux du centre-ville de Halifax seront touchés. La banque soutient qu'il s'agit là d'une des initiatives visant à réduire ses coûts de 500 millions de dollars au moins d'ici à 2001 et partant, à lui permettre de résister à la concurrence étrangère prévue. La Banque Royale avait d'abord pensé réduire ses coûts en fusionnant avec la Banque de Montréal, en 1998, mais ce projet a avorté lorsque les organismes fédéraux de réglementation ont rejeté le fusionnement.

Ma question est la suivante: si le gouvernement fédéral a empêché le fusionnement de la Banque Royale et de la Banque de Montréal pour, notamment, protéger les consommateurs canadiens, comment compte-t-il protéger les centaines de consommateurs qui sont aussi des employés de la Banque Royale et qui, par suite de la décision gouvernementale, seront mis à pied?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, la question laisse entendre que, si le fusionnement avait eu lieu, il n'y aurait pas de fermeture ni d'emplois perdus à Halifax.

Le sénateur Oliver: Telle n'était pas la prémisse.

Le sénateur Boudreau: J'ai du mal à accepter ce lien de cause à effet, à croire que ce serait le cas.

Le sénateur Kinsella: Pourquoi?

Le sénateur Boudreau: En fait, des emplois sont perdus et c'est grave. Je dois dire, toutefois, que l'économie de Halifax est très saine à l'heure actuelle. Le taux de chômage y est, je crois, à son plus bas. On ose croire que tout employé déplacé qui n'a pas pu trouver un emploi ailleurs pour la banque saura se trouver un autre emploi à Halifax dans un domaine similaire ou dans un domaine qui lui conviendra.

Le sénateur Oliver: Trois cent quarante personnes?

L'acquisition de Canada Trust par la Banque Toronto-Dominion-demande du nombre précis d'emplois perdus en conséquence

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, le ministre des Finances a récemment approuvé la fusion de la Banque Toronto-Dominion et de Canada Trust. Cela soulève une question liée à la question posée par mon collègue, le sénateur Oliver. Il ne fait aucun doute qu'il y aura des perturbations majeures dans les emplois et probablement aussi dans les services.

Le leader du gouvernement pourrait-il nous dire - ou au moins rechercher pour nous - à combien le ministre et le ministère des Finances estiment le nombre d'emplois qui seront perdus en raison de la fusion? Se sont-ils arrêtés à la question des services aux collectivités, particulièrement aux petites collectivités, qui n'auront peut-être plus de services bancaires acceptables après la fusion?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je peux certainement rechercher les renseignements demandés par l'honorable sénateur.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, la meilleure protection dont bénéficie tout employé déplacé en raison de la fusion est une économie saine productrice d'emplois, donc d'emplois de remplacement. En fait, certaines entreprises ont déclaré qu'elles seraient intéressées à la région de Halifax, mais craignaient que la disponibilité d'emplois ne leur permette pas de faire le genre d'activités qu'elles envisageaient.

Nous nous efforçons d'instaurer une économie saine et dynamique et de donner des choix aux gens de sorte que, si un emploi en particulier disparaît en raison de changements dans une entreprise, le titulaire du poste peut trouver un autre emploi.

Cependant, pour ce qui est de la question posée par l'honorable sénateur, j'essaierai d'obtenir l'information.

Le développement des ressources humaines

Les programmes de création d'emplois-La possibilité d'une mauvaise gestion des fonds-La responsabilité de la ministre

L'honorable Michael A. Meighen: Honorables sénateurs, ma question s'adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat. Elle a trait à l'impression que l'on a que le premier ministre est en train d'abandonner le principe parlementaire creux de la responsabilité ministérielle. Avant de poser ma question, je voudrais demander au leader du gouvernement quelques précisions sur la réponse qu'il a donnée à la question que lui a posée le sénateur LeBreton. Sauf le respect que je lui dois, je crois qu'il n'a pas du tout répondu à cette question.

Le sénateur LeBreton: Non, il n'y a pas répondu.

Le sénateur Meighen: Le leader semble dire qu'il s'agit d'un bon programme, et je ne contesterai pas cela, même s'il semble que certains bénéficiaires ont reçu plus que ce qu'ils avaient demandé alors que d'autres n'ont même pas eu à rendre des comptes. En supposant qu'il s'agissait de merveilleux programmes, le leader du gouvernement ne croit-il pas que nous devrions au moins respecter les normes de base en comptabilité et en matière de reddition de comptes? Que la question touche 37 programmes ou 357 programmes, ce sont quand même des deniers publics qui sont en jeu et dans ce cas-là, il faut adopter les normes les plus strictes possible. On semble avoir oublié cela dans le cadre de ce débat et il nous incombe, en tant que parlementaires, d'insister pour que les normes les plus strictes soient respectées. Il est clair que cela n'a pas été le cas.

Il y a une chose importante que je ne comprends pas - et peut-être que le leader pourra m'éclairer quelque peu là-dessus. Le premier ministre, qui a souscrit dans de nombreuses déclarations durant sa carrière parlementaire au principe de responsabilité ministérielle, semble maintenant abandonner ce principe et dire que la ministre n'est pas responsable.

(1510)

Va-t-on me dire qui est responsable, si ce n'est pas la ministre? Vous pourriez peut-être m'assurer qu'on ne se déchargera pas de la responsabilité sur certains bureaucrates subalternes.

Des voix: Bravo!

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis heureux d'entendre le sénateur appuyer ces sept programmes, du moins je pense qu'il les appuie.

Le sénateur Meighen: Je n'ai pas dit cela. J'ai plutôt dit: «... même s'ils sont bons».

Le sénateur Boudreau: La plupart des gens au Canada vont souscrire à ces programmes également.

J'ai déjà dit, lorsque j'ai établi le contexte de toute cette affaire, qu'il est important pour un ministère responsable de procéder à des vérifications internes de temps à autre. Ce ministère a produit un certain nombre de vérifications internes au fil des ans. Il y a eu une vérification interne il y a deux ou trois ans et on a procédé à une autre en 1991, alors qu'un autre gouvernement était au pouvoir.

Le sénateur Kinsella: Où voulez-vous en venir?

Le sénateur Boudreau: Il y a, sur une base régulière, une série de vérifications internes. Des mesures doivent être prises quand les résultats de ces vérifications internes parviennent au ministre. C'est là que réside la responsabilité.

Le sénateur Kinsella: Madame la ministre est-elle responsable ou pas?

Le sénateur Boudreau: Cette responsabilité est déclinée par la ministre. Une fois que la vérification interne a été portée à son attention, ce qui relève maintenant du domaine public, un programme a été mis en place pour remédier à la situation. Je ne crois pas qu'il y avait en 1991 un tel programme.

Le sénateur Meighen: Monsieur le ministre, si à vous entendre il ne s'agit que d'un petit problème comptable, que diriez-vous de l'intervention d'un vérificateur indépendant du secteur public pour aller au fond des choses et rassurer la population canadienne?

Des voix: Bravo!

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je dirais qu'au moins un tiers des dossiers examinés par les vérificateurs ont été régularisés. Les autres le seront sous peu. Le premier ministre a pris un engagement ferme: si des subventions ont été irrégulièrement octroyées, elles devront être restituées.

Nous allons au-delà du débat en cours. Il s'agit de mettre en place des mécanismes permanents destinés à améliorer la prestation des services et à éviter la répétition de ces problèmes. Notre réaction ne se borne pas à la tenue d'une vérification.

L'honorable W. David Angus: Honorables sénateurs, cette mauvaise gestion scandaleuse de fonds à DRHC fait la démonstration que le gouvernement libéral au pouvoir n'a pas su se montrer responsable envers les Canadiens.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Angus: Le Fonds transitoire de création d'emplois avait été créé précisément pour permettre l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en faveur de la création d'emplois dans les régions durement touchées par le chômage, mais il semble être devenu un outil politique pour accorder des faveurs dans certaines circonscriptions.

Des voix: C'est honteux!

Le sénateur Angus: Honorables sénateurs, les vérifications internes effectuées jusqu'ici sont loin d'être exhaustives mais elles ont révélé qu'on a dépensé des millions de dollars, à tout le moins, sans observer strictement les dispositions prévues telles que la tenue de registres, le suivi des projets, le contrôle des fonds engagés ou la présentation de formulaires de demande de subventions.

On nous dit que, dans certains cas, aucune demande ne figure dans les dossiers. C'est totalement inacceptable aux yeux des Canadiens, monsieur le ministre.

La question que je pose au leader du gouvernement au Sénat - et je n'envie pas son rôle dans cette affaire - est celle-ci: compte tenu de la gravité du problème, le gouvernement va-t-il accorder au vérificateur général le droit de procéder à une vérification intégrale, continuelle et complète et remettre tous les dossiers se rapportant aux fonds qui ont été versés à un examinateur externe indépendant?

Des voix: Bravo!

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, encore une fois, il est important pour nous tous de réaffirmer l'importance de ces projets et des bénéficiaires. J'ai déjà passé en revue la liste des 37 projets. Quand je vois l'Association canadienne des paraplégiques, je me dis que c'est le type de programme qui va en pâtir par suite de critiques irresponsables.

Des voix: Quelle honte!

Le sénateur Boudreau: L'honorable sénateur a demandé une vérification de tous les dossiers, des 30 000 dossiers, par un vérificateur indépendant. S'il fallait que cela se fasse, il y aurait pas mal de gens qui pourraient en faire une carrière. Je ne crois pas que cela se fasse.

Le sénateur Angus: Une dernière question complémentaire...

Son Honneur le Président pro tempore: Je regrette, sénateur Angus. Vous pourrez revenir sur ce sujet demain.

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je suggère que le sénateur Angus ait la permission de terminer sa série de questions au leader du gouvernement.

Des voix: Non.

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président pro tempore: Je regrette, mais certains sénateurs ont dit non. Nous devons nous en tenir au Règlement, tel est mon souhait.

Nous passons maintenant aux réponses différées.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Non, non. J'invoque le Règlement.

Le sénateur Angus: C'est du camouflage.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Son Honneur le Président ne peut renverser la décision unanime du Sénat.

Le sénateur Kinsella: Selon l'usage du Sénat, ce sont les sénateurs qui décident du déroulement des travaux. Le leader adjoint du gouvernement a consenti à ce que le sénateur Angus pose une question complémentaire. Le Sénat y a consenti. C'est un ordre du Sénat.

Le sénateur Lynch-Staunton: Le consentement était unanime.

Le sénateur Taylor: Était-il unanime? Je ne me rappelle pas qu'il était unanime.

Le sénateur Kinsella: Levez-vous, sénateur Angus, et posez votre question.

Son Honneur le Président pro tempore: Y a-t-il consentement unanime pour entendre le sénateur Angus?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Angus: Honorables sénateurs, en termes simples, j'exhorte le leader du gouvernement à bien vouloir assurer à tous les sénateurs que de hauts fonctionnaires ou d'autres personnes placées sous la direction du gouvernement n'ont pas détruit, falsifié, altéré, truqué, perdu ou oublié quelque document que ce soit qui porte sur la distribution d'argent dans le cadre du Fonds transitoire de création d'emplois, et qu'ils ne le feront pas.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je ne peux pas en donner davantage l'assurance que celle que je peux donner au sujet de ce qu'a fait le sénateur hier.

Le sénateur Stratton: Qu'en est-il de la population?


[Français]

(1520)

ORDRE DU JOUR

La Loi sur l'Accord définitif nisga'a

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Austin, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Fairbairn, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a.

L'honorable Aurélien Gill: Honorables sénateurs, je voudrais reprendre ici le fil de mon premier discours. Je sais que mon propos général du mois de novembre dernier en a rejoint plusieurs, et c'était bien mon intention. L'entente définitive avec la nation nisga'a me donne à présent l'occasion de pousser plus avant et de préciser ma pensée quant aux nouveaux partenariats sur lesquels nous devons envisager l'avenir.

Depuis près d'un demi-siècle au Canada, nous nous nourrissons de bonnes intentions et de bonnes paroles. Déjà, au début des années 60, le gouvernement fédéral exprimait, par le biais du rapport de la commission Hawthorne-Tremblay, sa volonté de favoriser rapidement l'autonomie économique des Premières nations.

Il s'en est suivi la création de moult forums de consultation et de réflexion. Dans la foulée, nous avons hérité de structures politiques plus ou moins adaptées. Les associations provinciales des années 60 en sont un bel exemple. Afin de nous conformer aux attentes gouvernementales en matière de discussion, le gouvernement voulait un interlocuteur à sa mesure; il a créé un double, une copie devant lui. Ses intentions étaient claires, il fallait briser le carcan de notre dépendance économique et voler de nos propres ailes au sein d'un Canada prospère.

La pensée était bonne, mais peut-être était-elle trop simple, car l'économie et le fait politique sont liés, faut-il s'en surprendre? Si, sur le plan politique, les propositions n'étaient pas à la mesure des attentes, souvenez-vous, on parlait alors de prise en charge. Or de quoi s'agissait-il? Il s'agissait d'administrer nous-mêmes notre dépendance.

Nous nous sommes occupés de nos affaires en prenant des responsabilités conçues et définies par le ministère des Affaires indiennes. Quelle ironie! Nous avons chaussé des mocassins qui ne nous allaient pas, enfilé une chemise qui ne nous convenait pas. Nous savons bien aujourd'hui que l'idée n'était pas prometteuse. Elle perpétuait le système des conseils de bande, elle donnait un second souffle au problème lui-même. Qui dit bande indienne dit réserve indienne, et cela reviendra toujours à promouvoir la marginalité.

Le fond de l'affaire se trouve évidemment là. Rien n'est possible en économie ou en politique si nos droits ne sont pas appliqués dans la réalité et si nous ne sommes pas en mesure de les exercer. Notre passé définit notre place dans le futur. C'est seulement à partir des années 70, après les tribulations du livre blanc de 1969, que les notions de territoires et de ressources ont été soulevées. Comme elles étaient enfouies dans notre amnésie historique, nous les avons déterrées.

La nation nisga'a, comme tant d'autres Premières nations, a contribué au premier chef à ces efforts de renversement où il fut établi que nous ne pouvions espérer survivre mais surtout nous développer si l'accès à nos territoires ancestraux et aux ressources nous était interdit. À travers le droit, les Nisga'as ont pu redonner du souffle à leurs revendications séculaires.

Car parler de nos droits, c'est parler des traités, des traités oubliés, trahis, mis au rancart, mais aussi des traités qui ne furent jamais signés, comme c'est le cas pour la grande partie du territoire de l'actuelle Colombie-Britannique, comme c'était le cas de la plus grande partie de la province de Québec, avant les conventions signées avec les Cris, les Inuits et les Naskapis. Parler de nos droits ancestraux, dont l'existence est désormais reconnue dans la Constitution canadienne, c'est parler de notre avenir.

C'est donc devant la justice que fut abordée la question des grandes injustices qui nous concernent. Depuis 1973, depuis l'affaire Calder, la Cour suprême du Canada n'a pas cessé de faire progresser la cause des Premières nations.

Nous convenons tous que l'affaire est complexe et difficile à résoudre en droit. Qu'on me permette de saluer au passage la contribution du juge Antonio Lamer, qui a pour ainsi dire jeté les bases de la justice canadienne à l'égard des Premières nations.

À défaut d'y être arrivés, nous sommes peut-être sur la bonne voie. Nos droits ancestraux sont en principe reconnus. Je dis bien en principe, puisqu'il reste à leur donner un vrai visage dans la modernité et dans le futur. Cependant, il faut reconnaître que trop de Canadiens réagissent mal à ce qui est pourtant un déblocage historique.

Finalement, l'Accord nisga'a réunit toutes les composantes minimales pour qu'une nation soit responsable de son avenir. C'est un cas qui devrait nous servir d'école sur le sujet. J'insiste sur ce fait. L'entente doit être présentée à tous les Canadiens, non seulement sous son meilleur jour, mais aussi sous son aspect exemplaire. Car les opposants s'opposent précisément aux qualités les plus fortes de l'entente. Il est dit qu'elle est inconstitutionnelle puisqu'elle établit un nouveau palier gouvernemental dans la structure politique et que pour ce faire, il faudrait modifier la Constitution. Cependant, notre Constitution ne reconnaît-elle pas les droits inhérents des autochtones? Et nos droits collectifs ne supposent-ils pas que nous jouissions de l'autonomie gouvernementale? À quoi servent les droits si nous ne pouvons pas les exercer?

Autrement dit, l'entente nisga'a pousse le débat vers l'angle concret du mur des bonnes intentions. En général, la nation voudrait que les Premières nations soient et qu'elles volent de leurs propres ailes. Cependant, quand arrive l'heure de l'envol, on leur conteste le droit de déployer les ailes. On chipote sur l'air qu'elles déplacent, sur l'espace nécessaire. La nation nisga'a aura bel et bien sur son territoire une autorité en propre, qu'elle n'a pas volée. Une collectivité ne se gouverne pas dans l'abstrait du droit. Il faut des ressources et des lieux, de l'espace et une identité. C'est ici que la notion critique de partage prend toute sa signification. Les Canadiens doivent réaliser qu'un partage des pouvoirs se profile à l'horizon.

Sur une terre dont ils avaient été dépouillés, sur laquelle ils étaient devenus étrangers, à l'instar de combien de Premières nations au Canada, la nation nisga'a revient finalement chez elle et exerce désormais un contrôle, c'est-à-dire une présence juste et normale. Elle redevient présente à elle-même. Nous assistons à une restitution, rien de moins. Les possibilités sont si bien définies qu'il est désormais pensable que les Nisga'as pourront eux-mêmes faire le bilan de leurs ressources et procéder justement sur la voie de l'imposition et de la taxation de la richesse à créer. Qui donc pourrait s'opposer à cette véritable émancipation? Voilà bien un carcan qui se brise et voilà comment on brise un cercle vicieux.

À l'entente nisga'a, on objecte encore qu'il s'agit d'un cas à régler parmi une quarantaine dans la seule Colombie-Britannique. La chose donne le vertige aux Canadiens. Pourtant, il y aurait mieux à dire pour les rassurer. Créer des gouvernements autonomes dont la structure tient compte de la tradition, reconnaître concrètement les territoires ancestraux, concevoir des compétences nouvelles, inventorier des ressources naturelles qui permettront de créer de la richesse, promouvoir des mesures de préservation «identitaires» à travers les institutions normales et minimales qui permettent à une collectivité d'agir sur son destin, maintenir des ponts où la collaboration et le partage seront privilégiés, voilà qui devrait tous nous rassurer.

Dans la langue innu, nous dirions que les Nisga'as sont des «kanikantet», c'est-à-dire des éclaireurs. Leur chemin est bien tracé. Si nous savons en tirer bonne leçon, leur travail nous ouvre de meilleurs horizons.

Cependant, savons-nous en tirer la bonne leçon? Il est difficile de répondre à cette question car la véritable opposition à l'entente nisga'a tire son origine d'une grande insensibilité historique, comme je le soulignais fortement dans mon premier discours. Beaucoup de Canadiens réagissent mal et préjugent sans penser aux traités et aux droits, sans tenir compte du poids des injustices séculaires.

L'entente nisga'a paraît surtout dérangeante, surprenante, un cheveu dans la soupe de notre tranquillité nationale. Nous ne pourrons jamais prétendre à une certaine maturité dans ce débat fondamental tant qu'une semblable méconnaissance ne sera pas disparue. L'argument massue prétend soulever le problème des gouvernements ethniques et soutient que le Canada ne doit pas créer de structures politiques fondées sur la distinction culturelle d'une collectivité définie. Je conviens que la question se pose et qu'elle est délicate en son principe. Mais sait-on la poser avec délicatesse? Nous nier le droit d'exister politiquement sur la base de nos qualités culturelles distinctes clôt effectivement le débat sur nos aspirations. Que je sache, que nous sachions tous, les Nisga'as sont des Nisga'as et leurs revendications se sont toujours ajustées à la mesure de leur identité.

(1530)

S'il n'y a pas de place dans le Canada de demain pour les Premières nations en tant que cultures particulières, qu'on le dise clairement. Il fallait le dire et continuer à détruire ce que nous sommes et ce que nous avons été. Qu'on arrête de claironner la diversité culturelle des nations fondatrices si personne n'a la volonté de la reconnaître dans les faits politiques.

Nos futurs gouvernements ne seront pas «ethniques», ils seront le reflet de ce que nous avons le droit d'être. Il s'agit d'un partage, d'un partenariat. Plus nous serons ce que nous sommes et plus il y aura d'ouverture entre nous. L'identité distincte n'oblige pas à séparer les cultures; ce serait plutôt le contraire. Une culture «bien dans sa peau» sait s'ouvrir aux autres et attire l'intérêt. Elle est une «ethnicité» positive dans la réalité.

J'ai déjà insisté sur l'urgence. J'insisterai maintenant sur la créativité, la nouveauté et l'imagination. Nous avons tous tort de nous comporter comme si le Canada était un pays achevé. Ce pays est à faire, il constitue un défi.

Pour y arriver, nous avons besoin d'innover, d'imaginer de nouvelles façons de lui appartenir. Être Canadien ne doit pas être une abstraction. Cela se vivra, se sentira et s'exprimera. Nous avons beaucoup à donner à ce pays, mais y aurons-nous un jour notre juste place?

À lui seul, le droit ne suffit pas. Le règlement juste de la question des Premières nations représente une chance ultime de chasser tous nos vieux fantômes. Je le dis haut et fort en sachant que ce constat dérange. L'identité canadienne est à construire. L'histoire nous a démontré que l'on a toujours voulu réduire cette identité à une sorte d'homogénéité qui n'existe pas.

Le Canada doit se départir de son apathie en matière de diversité culturelle. Il nous faut faire preuve d'imagination. Il nous faut chasser le vieux fond colonial loyaliste et le nationalisme «fleur de lys».

Non, le Canada n'est pas anglais, tout comme il n'est pas français. La notion du biculturalisme est une notion impertinente qui ne fait que ressasser de vieilles rancunes malheureusement toujours vivantes. Si, un jour, une culture canadienne originale se manifeste, elle rassemblera les meilleurs éléments des diverses identités et cultures qui, depuis plus de 500 ans, participent à l'existence de ce pays.

Nous aurons enfin surmonté nos vieilles visions qui relancent les cultures les unes contre les autres. Nous sommes au premier chef de cette histoire. Nous sommes en droit de promouvoir et de défendre notre identité; nous sommes en droit de retrouver le respect qui lui correspond. Nous savons tous que le Canada de demain devra être inclusif et devra se réjouir de sa diversité, que cette diversité devra se manifester dans l'espace politique, et qu'à l'instar du Québec et des francophones du Canada qui le réclament, nous devrons être, nous aussi, les principaux acteurs de notre destin.

Comment ne pas célébrer l'entente définitive avec les Nisga'as comme une avenue originale qui nous conduit plus en avant? Il y a un lien nécessaire entre le pouvoir de maîtriser son économie et l'épanouissement d'un peuple. Comment ignorer l'immense pas franchi par les Nisga'as et surtout, comment ne pas s'en réjouir?

À l'autre bout du pays, une autre entente est en chantier, entente qui se rapproche de ce que nous souhaitons tous. Si tout se passe comme prévu, au terme d'un très long chemin, les Montagnais innus du Saguenay-Lac-Saint-Jean, d'Issipit, de la région de Charlevoix-Tadoussac et de Betsiamites-Manicouagan pourront finalement prendre en main leur destinée. Saluons ces progrès et ces ouvertures car ils sont fondamentaux.

Partout où des négociations prometteuses sont en cours et annoncent des partenariats conclus dans la dignité, il faut se réjouir et nous encourager mutuellement. Il faudra aussi porter une grande attention à nos frères nordiques, les Innus du Labrador et de la Côte-Nord du Québec.

Ces Innus ont été patients, très patients. Jusqu'à hier, ils ont eu toutes les raisons de s'inquiéter de leur avenir car la tradition fut trop longtemps de les ignorer dans l'élaboration de projets de développement. Souvenez-vous des projets de l'OTAN à propos des vols à basse altitude. Les gouvernements du Québec et de Terre-Neuve ne les ont-ils pas encore oubliés dans leur planification commune du développement hydro-électrique du fleuve Churchill?

En 1999, ces gouvernements n'ont-ils pas encore tenu pour acquis que le développement du Labrador ne concernait pas vraiment les Innus, se méprenant même sur la simple carte des territoires ancestraux de cette nation montagnaise innue?

Les ententes sont nécessaires pour promouvoir les responsabilités et le partage, car en l'absence d'ententes et de gouvernements autochtones responsables, à défaut d'une reconnaissance concrète de l'espace nécessaire et d'un partenariat dans le partage, les Premières nations se font humilier et sont systématiquement ignorées, aujourd'hui comme hier.

Cette ignorance et ces humiliations n'ont plus cours dans un Canada qui se respecte. Ces nouvelles ententes sont autant de brèches dans le barrage du silence et du mépris. Le courant s'agitera, le rythme s'ouvrira au gré de ces brèches. Il faut espérer que nous pourrons donner toute notre mesure à ce processus de développement.

(1540)

Oui, il nous faut partager les terres et les ressources. Nous devons les partager pour nous enrichir et pour faire grandir le Canada. Alors seulement, la majorité des Canadiens arrêtera de percevoir ces ententes comme des concessions, des pertes, des folies menaçant leur intégrité.

Je pose la question: avons-nous assez investi pour informer adéquatement les Canadiens sur la véritable nature de ces ententes? Poser la question, c'est y répondre. Non, nous n'avons pas assez fait et le débat souffre d'un dangereux laisser-aller, car les bruits actuels reflètent une carence douloureuse en matière d'information.

Certains disent que nous jouissons de faveurs, de privilèges, que ces ententes se résument à l'argent que nous en retirons. Il paraît que nous arrachons des droits sur les ressources. Nous avons l'air de vrais voleurs aux yeux d'une population qui nous perçoit comme une menace et comme étant des profiteurs. Non, nous n'investissons pas assez pour montrer le côté absolument positif de ces nouvelles ententes. Elles ne sont et ne seront peut-être jamais parfaites, mais nous devrons, ensemble, les améliorer et les multiplier.

Elles représentent un véritable espoir pour tous. Voilà comment nous devons les présenter au grand public. Encore une fois, je félicite la nation nisga'a pour sa ténacité et son courage, ainsi que tous ceux qui ont travaillé pour que cette entente soit conclue. Malgré les embûches et les difficultés, puissions-nous atteindre à l'échelle nationale ce qui fut réalisé dans le cas présent, car le Canada de demain ne se bâtira pas au détriment de ces peuples et de ces cultures, il ne se bâtira pas en humiliant ses multiples nations fondatrices. Soyons tous fiers d'être Canadiens, tout en étant fiers d'être ce que nous sommes, fiers d'appartenir à ce nouveau cercle.

[Traduction]

L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, je me demande si le sénateur Gill me permettrait de lui poser une question.

Le sénateur Gill: D'accord.

Le sénateur Taylor: Une petite bande, dont je ne me rappelle pas le nom exact pour l'instant, occupe des terres traditionnelles des Nisga'as. Ses membres étaient mécontents parce qu'on n'en a pas tenu compte dans l'accord. Il semble que des efforts ont été déployés pour régler le problème. Le sénateur est-il au courant de cette bande et des mesures qui sont prises pour répondre à ses préoccupations?

[Français]

Le sénateur Gill: Honorables sénateurs, je suis au courant de certaines choses, mais je n'en connais pas tous les détails. Lorsqu'une entente est signée, il est clair que certains problèmes se présentent en ce qui concerne le chevauchement des territoires entre les nations autochtones et non autochtones. À ce que je sache, il y a toujours une possibilité que ces questions soient réglées. Comme on peut le constater, plus on signera des ententes, plus on devra composer avec ce genre de situations. Jusqu'à maintenant, on a trouvé certaines façons d'amener les gens à discuter de leur situation.

[Traduction]

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur St. Germain, le débat est ajourné.)

La Loi sur la défense nationale
La Loi sur l'identification par les empreintes génétiques
Le Code criminel

Adoption du rapport du comité

Le Sénat passe à l'étude du troisième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel, avec amendements) déposé au Sénat le 16 décembre 1999.

L'honorable Lorna Milne propose: Que le rapport soit adopté.

- Honorables sénateurs, en ma qualité de présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j'ai l'honneur de vous rendre compte du rapport concernant le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel.

La présentation comme promis de ce texte législatif, le projet de loi S-10, fait suite à l'engagement pris par le solliciteur général devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles en décembre 1998. Le texte s'appuie sur les recommandations législatives formulées par le comité dans son 16e rapport au Sénat sur le projet de loi C-3, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, qui avait été présenté lors de la session précédente. Le projet de loi à l'étude aujourd'hui reflète nos recommandations et apporte plusieurs changements à la Loi sur la défense nationale et à la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, et au Code criminel.

Le projet de loi S-10 permet d'ajouter à la banque nationale de données génétiques le profil d'identification génétique des auteurs d'infractions désignées, qui sont justiciables du code de justice militaire. Il modifie également le Code criminel en appliquant l'interdiction concernant l'utilisation abusive des échantillons de substances corporelles et des profils d'identification génétique aux échantillons de substances corporelles et profils d'identification génétique obtenus en vertu de la Loi sur la défense nationale. Le projet de loi S-10 renforce les «principes» établis à l'article 4 visant à nous assurer que ces profils et ces substances corporelles ne serviront «qu'à l'application de la présente loi, à l'exclusion de toute autre utilisation qui n'y est pas autorisée». Il s'agissait de tenir compte des préoccupations exprimées précédemment par le comité au sujet de l'éventuel usage abusif des profils d'identification génétique.

Le projet de loi S-10 prévoit de nouvelles mesures de reddition des comptes qui permettront au Parlement de surveiller l'exploitation de la banque de données. Il modifie la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques pour donner aux comités du Sénat et de la Chambre le même pouvoir de procéder à l'examen prévu par la loi au bout de cinq ans. Le projet de loi exige également que le commissaire de la GRC remette un rapport annuel au solliciteur général sur l'exploitation de la banque de données, rapport que le solliciteur général déposera devant les deux Chambres du Parlement.

Pendant les audiences du comité sur le projet de loi S-10, nous avons proposé que ce rapport passe en revue la jurisprudence sur l'utilisation des empreintes génétiques. Dans une lettre adressée au comité par mon entremise le 7 décembre 1999, le solliciteur général a accepté notre recommandation et convenu de modifier le projet de règlement qui accompagne le projet de loi et qui, soit dit en passant, a été présenté au comité, pour préciser que le rapport annuel du commissaire de la GRC traitera de la jurisprudence de l'année écoulée concernant l'utilisation des empreintes génétiques.

Honorables sénateurs, il est fait rapport du projet de loi S-10 avec deux propositions d'amendement. Ces amendements ont été présentés par le solliciteur général au comité pendant notre étude du projet de loi S-10 à l'issue d'une réunion des procureurs des niveaux fédéral, provincial et territorial. Ces amendements sont jugés nécessaires pour la vérification de l'identité de la personne désignée dans une ordonnance ou une autorisation. Les modifications apportées à la Loi sur la défense nationale et au Code criminel autorisent les agents de la paix ou les personnes agissant sous leurs ordres à prendre les empreintes digitales des personnes reconnues coupables d'une infraction désignée même temps qu'ils prélèvent des substances corporelles pour la banque d'empreintes génétiques.

Au départ, le comité avait des réserves au sujet des répercussions que pourrait avoir sur le plan de la protection des renseignements personnels le prélèvement d'empreintes digitales en même temps que d'échantillons de substances corporelles pour inclusion dans la banque de données génétiques. À la demande du comité, j'ai transmis les propositions pour analyse à M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée du Canada. M. Phillips a exprimé des préoccupations quant à ce qu'il adviendrait des empreintes digitales une fois qu'elles auraient été prises, mais il a reconnu la nécessité de protéger l'intégrité de la banque nationale de données génétiques. Toutefois, il a partagé les préoccupations du comité concernant l'obtention d'empreintes digitales lorsque la Couronne a eu recours à une procédure par voie sommaire, lorsqu'il n'existe pas de pouvoir de prendre des empreintes en vertu de la Loi sur l'identification des criminels ou lorsqu'il n'existe pas d'empreintes au dossier permettant de faire une comparaison. Tout comme le comité, M. Phillips s'interrogeait aussi également au sujet de la validité de l'obtention d'empreintes digitales pour les sept infractions secondaires «expressément militaires» pour lesquelles il n'existe pas non plus à l'heure actuelle de dispositions autorisant le prélèvement d'empreintes digitales.

Les fonctionnaires ont répondu à ces préoccupations le 15 décembre 1999 en expliquant le processus en vertu duquel seraient traitées les empreintes digitales prélevées dans le cas d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Étant donné que ces empreintes digitales sont prélevées uniquement aux fins d'échantillonnage génétique, elles bénéficieront du même traitement que les dossiers de réhabilitation. Ce n'est que dans les cas extrêmes que l'information sera conservée et elle ne figurera que dans une base de données interne qui attribue un numéro à l'information qui sera consultée dans le cadre d'une demande de renseignement interne. Une personne ne pourrait obtenir un nom que si elle est une de celles chargées de gérer l'information concernant les dossiers des délinquants réhabilités. Je souligne de nouveau que l'information ne serait pas mise à la disposition de tous les services de police.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-10 est un témoignage du travail diligent et consciencieux effectué par votre comité permanent. Je remercie le solliciteur général d'avoir reconnu notre travail et notre contribution au processus législatif en respectant sa promesse d'adopter nos recommandations avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-3, Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Le projet de loi S-10 est le reflet de l'attention que nous accordons aux détails et de notre engagement continu à l'égard de la protection de la vie privée des Canadiens et de leur droit à la sécurité.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand ce projet de loi sera-t-il une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Milne, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

(1550)

Projet de loi sur la sanction royale

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Lynch-Staunton, appuyée par l'honorable sénateur Kinsella, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-7, Loi relative aux modalités d'octroi par le Gouverneur général, au nom de Sa Majesté, de la sanction royale aux projets de loi adoptés par les Chambres du Parlement.

L'honorable Marie-P. Poulin: Honorables sénateurs, j'ajoute ma voix au débat dont nous sommes saisis au sujet du projet de loi S-7, qui traite de la sanction royale comme moyen de promulguer les lois pour les rendre exécutoires. Comme vous le savez, le Sénat a été saisi de cette question à plusieurs reprises.

L'intérêt que je porte à ce projet de loi m'est venu à la suite des réflexions pertinentes exprimées au cours du présent débat et des débats antérieurs, notamment l'intervention judicieuse de l'honorable Royce Frith, en mai 1983, et le rapport du comité McGrath, deux ans plus tard.

On a assisté occasionnellement à d'autres tentatives de modification du processus de la sanction royale. Je me suis familiarisée avec toutes ces démarches afin de bien comprendre les raisons exposées justifiant un changement et les conséquences possibles du changement proposé par le projet de loi S-7.

Je précise au départ que je vois, par la sanction royale, une occasion de montrer au monde le fruit de la procédure parlementaire en général, et le travail législatif des parlementaires et du Sénat en particulier.

[Traduction]

Honorables sénateurs, un certain nombre de mots me viennent à l'esprit: visibilité, communications, pertinence, accessibilité, contenu et éducation, car je vois ici une occasion de maximiser le travail du Sénat, plutôt que de l'isoler dans un processus d'approbation en catimini. De fait, plusieurs sénateurs soutiennent privément et publiquement que nous devrions chercher à rendre le Sénat plus visible.

La sanction royale, si elle était bien communiquée au public, contribuerait à informer les Canadiens non seulement au sujet de leur institution parlementaire, mais également au sujet des lois qui sont adoptées et qui les concernent. Si elle était planifiée et administrée de façon visible, la sanction royale permettrait aux parlementaires de montrer la pertinence et l'à-propos de leur travail en tant que législateurs. S'il faut pour cela tenir des cérémonies, soit.

L'une des tragédies de notre époque est, peut-être, que nous ne tenons pas suffisamment de cérémonies pour nous rappeler qui nous sommes et d'où nous venons. Les cérémonies, qu'elles soient modestes ou extravagantes, nous incitent à la réflexion. Durant les matinées estivales, des foules se réunissent sur la colline du Parlement pour assister à la relève de la garde. S'agit-il uniquement d'un spectacle pour touristes? C'est plus que cela. Il s'agit d'une façon de présenter au monde un modeste aspect du Canada.

Honorables sénateurs, les propos tenus dans cette Chambre au sujet de la sanction royale montrent clairement que personne ne propose d'usurper le processus législatif. Ce processus lie les deux Chambres du Parlement et le souverain. Il lie les institutions qui ont satisfait au critère déterminant du gouvernement.

Honorables sénateurs, la question à l'étude oppose la commodité à la tradition. Il s'agirait de modifier légèrement les règles pour que la tradition demeure un exercice légitime, tout en rendant le processus plus commode. Je pense que c'est là le noeud de la question.

Le sénateur Lynch-Staunton propose, dans ce projet de loi, une dualité équilibrée en conservant le cérémonial mais en simplifiant la procédure officielle. Quoique sensible à la valeur des raisons qui l'ont poussé à agir, et je rappelle aux honorables sénateurs que tous les sénateurs des deux côtés de la Chambre s'entendent sur le bien-fondé de ces raisons, je crains que les dispositions du projet de loi S-7 relatives aux déclarations écrites ne deviennent la norme et que la cérémonie traditionnelle actuelle ne soit mise à l'écart. Autrement dit, nous finirions par remplacer une tradition bien ancrée par une procédure informelle, au risque de perdre une chance unique d'informer les Canadiens au sujet des mécanismes des institutions parlementaires et du rôle législatif vital que jouent ces institutions au nom des Canadiens. Les Canadiens ne respecteront le Sénat que si nous leur permettons de voir, et je dis bien de «voir» la pertinence de la Chambre haute.

[Français]

Honorables sénateurs, nous savons que le Canada est le seul pays du Commonwealth à avoir conservé la cérémonie de la sanction royale en présence du Gouverneur général ou d'un juge de la Cour suprême, qui agit alors à titre de suppléant du Gouverneur général.

Même si nous avons couramment recours à un juge puîné pour donner la sanction royale aux projets de loi, le fait de demander la participation d'un juge de la Cour suprême, quelle que soit son impartialité, implique un risque: un jour, ce juge aura peut-être à rendre une décision sur la validité d'une mesure législative à laquelle il aura lui-même octroyé la sanction royale.

Il conviendra peut-être, à ceux et celles qui auront la responsabilité d'étudier en comité le projet de loi S-7, d'explorer des options selon lesquelles on pourrait confier cette charge à d'autres augustes Canadiens qui ne seraient pas actifs dans le processus judiciaire. Ainsi, on pourrait constituer une brochette de Canadiens et de Canadiennes distingués habilités à remplir des tâches semblables à celles des lords commissaires en Angleterre.

Rappelons-nous que sur une période de six ans, de 1993 à 1998 inclusivement, nous avons assisté à 46 cérémonies de la sanction royale. Le Gouverneur général était présent à cinq d'entre elles seulement. Ces chiffres permettent à certains de dire que la cérémonie officielle de la sanction royale ne vaut plus la peine qu'on s'en préoccupe.

En d'autres mots, si le représentant ou la représentante de la Reine ne peut, pour une raison ou pour une autre, prendre part activement et régulièrement au processus législatif, pourquoi cette fonction devrait-elle échoir à quelqu'un d'autre? Pourquoi ne pas adopter un tout autre protocole?

Le taux de participation du Gouverneur général peut nous inciter à aller encore plus loin que la proposition contenue dans le projet de loi S-7; j'entends par là l'élimination pure et simple de la pratique, un peu comme on l'a fait en Australie.

C'est pourquoi je peux comprendre les sentiments de ceux et celles qui souhaitent simplifier la sanction royale et créer d'autres moyens de parvenir aux mêmes fins, comme ceux qui sont proposés dans le projet de loi de notre honorable collègue.

[Traduction]

(1600)

Honorables sénateurs, je me demande si je souscrirais volontiers au projet de loi S-7 si le seul facteur était sa commodité ou son utilité, si vous préférez. La logique m'incite à soupeser le point de vue inverse, comme vous l'avez peut-être remarqué dans les observations au sujet de la pertinence, de la communication, de l'accessibilité, de la visibilité et de l'éducation. Je me préoccupe de l'effritement constant de nos traditions et de nos symboles dont la disparition semble être liée davantage à la rectitude politique et à l'opportunisme plutôt qu'au fait de nous rappeler à tous ce que nous sommes en tant que Canadiens.

À cet égard, je considère comme assez valables les observations de la ligue monarchiste et d'un certain nombre de collègues comme les sénateurs Cools, Grafstein, Nolin et Milne. Dans un exposé présenté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, la ligue a déploré «le passage du symbolisme monarchique actuel au symbolisme républicain» et la réduction du rôle de la reine en Son Parlement à «une fonction de secrétariat exercée dans un lointain bureau administratif».

Les sénateurs Grafstein et Nolin ont, si j'interprète correctement leurs paroles, souligné le fait que la sanction royale représente une importante fonction constitutionnelle du Gouverneur général, laissant entendre que les représentants de la Couronne devraient jouer un rôle plus actif dans les affaires du Parlement, pas moins. En fait, le sénateur Milne a dit de la sanction royale qu'elle est «un acte très théâtral et que plus de Canadiens devraient en être informés». Le sénateur Cools a fait remarquer à juste titre que les déclarations écrites «éloigneront et obscurciront davantage le rôle et l'existence de la reine dans les affaires publiques de notre pays.»

Honorables sénateurs, en débattant ce projet de loi, notre raison et notre coeur sont en conflit. La logique nous dit qu'on peut faire les choses plus efficacement, mais notre coeur nous attire vers un acte de symbolisme qui remonte dans notre histoire. C'est notre patrimoine et nul ne devrait s'en défaire à la hâte. C'est bien de dire que puisque Henri VIII a changé les règles en 1541 en nommant des lords commissaires pour accorder la sanction au nom du souverain, nous pouvons le faire aussi. Les motifs de Henri n'étaient pas liés à une volonté d'améliorer l'appareil démocratique, mais plutôt à son intention de se soustraire à l'indignité de sanctionner un projet de loi visant en fait à envoyer sa femme Catherine au bûcher pour haute trahison. À cause de ce simple acte d'un roi, pour des raisons personnelles qu'il vaut mieux ne pas répéter dans cette enceinte, la pratique de la nomination de commissaires est devenue si courante qu'elle est aujourd'hui une procédure normale.

Ces événements montrent le principe de l'exception qui devient la règle. Cela pourrait finir par être le cas avec les déclarations écrites, malgré les dispositions qui prévoient une sanction royale chaque année en présence du Gouverneur général. Le projet de loi S-7 serait un premier empiètement qui, en temps utile, éliminerait le symbolisme de notre processus parlementaire.

[Français]

Honorables sénateurs, je me permets d'apporter quelques précisions qui me semblent pertinentes au débat.

En Angleterre, la pratique est maintenant courante de confier à des lords commissaires la tâche de sanctionner les lois au nom de Sa Majesté, généralement au palais de Buckingham; ceci constitue, à mon avis, un élément de cérémonie.

Il y a aussi une distinction à faire entre le Canada et l'Australie. Alors que le Canada a maintenu la cérémonie traditionnelle de la sanction royale depuis la Confédération, l'Australie l'a abandonnée dans les premières années de son histoire. Les deux pays ont donc développé des protocoles différents. Malgré l'abandon de la cérémonie de la sanction royale, les Australiens et les Australiennes ont choisi, par voie de référendum, en novembre dernier, de demeurer une monarchie.

Le Canada est un pays jeune, très jeune, qui accueille chaque année des milliers d'immigrants dont la culture, les règles de droit, la langue, et même l'alphabet sont parfois différents.

Ce qui saute aux yeux, c'est que nous présumons que les gens qui franchissent nos frontières sont invités à profiter de l'abondance dont nous jouissons au Canada. J'entends par là que nous partageons non seulement notre niveau de vie, mais aussi notre tradition parlementaire, notre culture et nos institutions.

Pour beaucoup de nouveaux arrivants, ces éléments offrent la stabilité qui leur manquait dans leur pays d'origine. La question se pose alors: nos traditions et notre démocratie parlementaire, ainsi que les cérémonies symboliques qu'elles supposent, ne valent-elles pas la peine d'être mieux communiquées?

Si oui, et je crois fermement que c'est le cas, ne devrait-on pas utiliser tous les moyens modernes mis à notre disposition pour justement mieux faire connaître les nouvelles législations, les mises à jour, le processus suivi?

Ne pourrait-on pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire connaître nos valeurs et nos traditions par le biais de nos symboles et de nos cérémonies? N'est-ce pas notre responsabilité en tant que parlementaires d'être plus visibles, d'utiliser les communications électroniques qui sont à notre disposition pour diffuser cette étape finale du processus législatif? Oui, la diffusion de cette dernière nous forcerait à repenser la cérémonie même.

[Traduction]

Honorables sénateurs, plutôt que de dissimuler nos coutumes et traditions telles que la sanction royale, nous les montrerions. Comme la justice, la démocratie doit être vue pour être appliquée. Plutôt que de faire des déclarations écrites la norme et de la sanction royale l'exception, je me demande si l'inverse ne serait pas une proposition plus intéressante, en d'autres mots, accentuer le rôle du Gouverneur général tout en limitant les déclarations écrites à de rares exceptions. Pendant un certain temps, au moins, je pense que les déclarations écrites seront nécessaires par moments lorsque les deux Chambres seront installées dans des bâtiments différents pendant les rénovations de l'édifice du Centre. J'accepte cela comme arrangement pratique. Toutefois, je pense que nous pourrions aller dans le sens d'une fonction plus visible du Parlement et du Gouverneur général lui-même. Proclamer des lois n'est-il pas l'une des principales responsabilités du Gouverneur général? En tant que représentant de la reine, l'individu qui occupe ces fonctions honorables devrait apparaître régulièrement dans les affaires du Parlement du Canada.

Il y a quelques mois, on a proposé que des jours soient fixés pour la sanction royale lorsque les deux Chambres siègent, ce qui constitue une autre option à examiner par le comité sénatorial approprié.

[Français]

Honorables sénateurs, au cours de mon intervention, j'ai plaidé en faveur d'une plus grande mise en valeur des coutumes et des symboles de notre pays, et j'ai réclamé une plus grande transparence du processus législatif. Je suis donc parmi ceux qui pensent que pour faire du Parlement une institution plus pertinente aux yeux des Canadiens, on pourrait même, à l'occasion, tenir une cérémonie de la sanction royale dans d'autres régions du pays. La sanction royale qui a approuvé le projet de loi créant le Nunavut aurait mérité la tenue de la cérémonie ailleurs qu'à Ottawa. Cet événement est maintenant chose du passé, mais il aurait été intéressant de souligner ainsi la création d'un nouveau territoire. Cela aurait attiré l'attention des Canadiens et des Canadiennes sur un changement historique au pays.

Honorables sénateurs, nous devons des remerciements au sénateur Lynch-Staunton. Il a porté à l'attention de notre Chambre les conditions particulières de notre procédure parlementaire. Si notre objectif collectif est d'assurer un rapprochement entre le travail parlementaire et la réalité canadienne, le projet de loi S-7 nous offre l'occasion de le faire. Prenons le temps d'évaluer les mécanismes de notre fonctionnement. Rendons-nous plus visibles, plus accessibles, et j'ose me répéter: tout comme la justice, la démocratie doit être vue pour être faite.

[Traduction]

(1610)

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, je remercie madame le sénateur Poulin de ses commentaires. L'un des principaux intérêts des projets de lois d'initiative parlementaire est que nous pouvons tous avoir des avis différents. Je dois dire d'ailleurs que je ne partage pas du tout l'opinion du sénateur Poulin à ce sujet. J'aime bien le projet de loi du sénateur Lynch-Staunton. Son adoption permettrait à mon avis d'améliorer notre façon de faire les choses ici à la Chambre et au Parlement en général. J'aimerais préciser mes paroles.

La première fois que j'ai assisté à une sanction royale, ce n'était pas au Sénat du Canada, mais bien à l'Assemblée législative du Manitoba. Je crois que dans la plupart des assemblées provinciales, la majorité des projets de loi ne sont généralement reçus en troisième lecture que peu avant la fin de chaque session. Cela est dû au fait que les sessions ont tendance à être plus compactes et qu'il y a en général un discours du Trône tous les ans.

L'expérience dont je parle s'est produite alors que nous arrivions à la fin de ma première session. J'ai eu l'occasion de remarquer bien des choses intéressantes qui se passaient à la Chambre. J'ai vu ce jour-là par exemple que les députés des deux côtés de la Chambre réunissaient des petits papiers sur leurs pupitres. En tant qu'ancien professeur, je dois vous avouer que ces papiers m'avaient bien l'air de ces petits messages qu'on s'envoie dans les classes.

Comme nous en étions arrivés à la fin de la session, le lieutenant-gouverneur attendait à l'extérieur de la salle depuis environ 17 heures. Puis il est entré dans la salle pour donner la sanction royale aux mesures législatives. Lorsqu'il a quitté la salle, j'ai appris avec stupéfaction à quoi devaient servir tous ces petits papiers. La tradition voulait qu'on fasse voler tous ces papiers sur le plancher de l'assemblée législative.

D'un seul coup, les papiers se sont mis à fuser de toutes parts. On m'a même dit qu'à un certain moment, des copies du hansard ont été lancées d'un côté de la Chambre à l'autre. Cette pratique a toutefois bien vite été abandonnée lorsqu'un des représentants de la tribune de la presse a été blessé à un oeil par un hansard. C'est donc devenu une règle tacite que les copies du hansard ne devaient plus être lancées après une cérémonie de sanction royale.

Plusieurs années plus tard, alors que j'étais chef du parti, nous avons eu le bonheur de faire élire suffisamment de députés pour former l'opposition officielle. Vous devez vous rappeler, honorables sénateurs, que j'ai été enseignante durant une vingtaine d'années. J'ai fait savoir très clairement aux députés de mon caucus qu'il n'y aurait pas de combat de boulettes de papier à l'assemblée législative du Manitoba. Je crois comprendre que la tradition de lancer des boulettes de papier à l'assemblée du Manitoba est maintenant chose du passé. Ce fut peut-être ma contribution la plus importante au décorum de la législature du Manitoba. En tout cas, cela m'a amenée à un débat plus sérieux, à savoir quand est-ce qu'une cérémonie est importante et quand est-ce qu'elle accomplit le genre de choses dont le sénateur Poulin a parlé avec tant d'éloquence cet après-midi? Cela m'a amenée à me demander quand est-ce qu'une cérémonie est peut-être devenue superflue et inutile.

Un des aspects du projet de loi du sénateur Lynch-Staunton qui me plaît le plus, c'est qu'il n'abolirait pas complètement la sanction royale, comme cela est arrivé au Royaume-Uni, en Australie et dans tous les autres pays du Commonwealth. La mesure à l'étude prévoit que la cérémonie aurait lieu une fois par année. J'espère qu'elle deviendrait en conséquence une cérémonie beaucoup plus importante. La Chambre des communes ne serait plus représentée uniquement par des députés ministériels, comme cela est toujours arrivé depuis cinq ans et demi que je siège au Sénat. Nous avons souvent eu la sanction royale en l'absence du Président de la Chambre des communes, qui se faisait remplacer à l'occasion par un des vice-présidents.

À mon avis, cela cause davantage de tort que n'importe quoi d'autre au processus démocratique. Si cette cérémonie suscite un tel dédain que les membres de la Chambre des communes n'estiment pas devoir y assister, cela me porte à croire que cette cérémonie n'apporte peut-être plus désormais aucune contribution importante au corps politique et, plus particulièrement, à notre système démocratique.

J'ai de sérieuses réserves au sujet du fait qu'un juge de la Cour suprême joue le rôle de suppléant du Gouverneur général. Franchement, je trouve qu'ils ne devraient pas donner la sanction royale. Ils peuvent être appelés plus tard à rendre des jugements dans des affaires portant sur des lois du Parlement auxquelles ils ont donné la sanction royale. À mon avis, apposer sa signature dans le cadre de la cérémonie de la sanction royale en tant que suppléant du Gouverneur général et émettre plus tard un jugement sur cette même loi constitue un conflit d'intérêts.

Je suis tout à fait d'accord avec madame le sénateur Poulin quand elle dit que nous devrions essayer de trouver des personnes autres que celles qui jouent actuellement le rôle de suppléant du Gouverneur général. Si nous maintenons cette cérémonie, il y a beaucoup de membres notoires de l'ordre du Canada qui pourraient remplacer le Gouverneur général. Il y a sans doute d'autres personnes qui seraient un bon choix pour le remplacer.

Je pense que les honorables sénateurs devraient être mis au courant d'une affaire portant sur cette question qui sera entendue en Ontario dans les prochains mois. Il s'agit de décider si la situation à laquelle j'ai fait référence constitue un conflit d'intérêts.

Lorsque les représentants de la Ligue monarchiste du Canada ont comparu devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles, qui étudiait ce projet de loi dans une autre vie, j'ai posé la question suivante à John Aimers, qui est président de la ligue: devrions-nous être plus catholiques que le pape? Puisque la mère de tous les parlements, Westminster, a aboli le cérémonie il y a une trentaine d'années, j'ai demandé si, au Canada, nous devrions la maintenir. J'ai demandé pourquoi les autres pays du Commonwealth avaient choisi une autre solution. Il m'a répondu que nous devrions être plus catholiques que le pape et qu'il était important que ce genre de symbolisme continue au Canada.

J'adore les cérémonies. Je trouve qu'elles sont bonnes pour nous tous. Elles nous donnent un sens de notre histoire. Elles nous donnent le sens de l'importance de nos institutions. Je pense toutefois que les cérémonies n'ont de valeur et d'utilité que lorsque tout le monde trouve qu'elles sont d'une grande importance et d'une grande signification.

Malgré tout le respect que je dois à tous les sénateurs, je ne pense pas que la cérémonie de la sanction royale revête ce genre d'importance et de signification lorsque le whip du gouvernement est obligé de faire le tour de la salle pour s'assurer qu'il y ait quorum. Techniquement, il n'est pas nécessaire qu'il y ait quorum pour la sanction royale, mais il faut qu'il y ait quorum pour ajourner. On ne peut pas ajourner tant que la sanction royale n'est pas donnée, de sorte qu'il faut avoir un quorum. Pour veiller à ce qu'il y ait assez de sénateurs, notre whip demande à chacun: «Serez-vous présent pour la sanction royale?»

(1620)

Honorables sénateurs, si chacun d'entre nous pense vraiment que la cérémonie est importante, comment se fait-il que nous n'assistons pas tous à la sanction royale? À mon avis, nous ne considérons pas qu'elle est une partie importante du processus. Nous considérons que c'est plutôt le débat final en troisième lecture, le dernier vote à l'étape de la troisième lecture - si la question soulève un désaccord - qui est la partie la plus importante du processus, pas la sanction royale.

Je voudrais que la cérémonie telle que la décrit le projet de loi du sénateur Lynch-Staunton devienne vraiment une grande occasion au Sénat, à laquelle assistent le Gouverneur général, un grand nombre de députés et un grand nombre de sénateurs. C'est dans cette voie que nous devrions nous diriger. Je pense que nous entrerons alors dans une autre époque.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, je n'avais pas l'intention de participer au débat, mais l'éloquence des sénateurs Poulin et de notre ancien leader adjoint, le sénateur Carstairs, me fait penser que nous avons peut-être collectivement oublié l'essence de la sanction royale.

L'essence de la sanction royale n'est pas la cérémonie. La cérémonie marque une occasion spéciale, mais l'essence de la sanction royale était fondée sur le principe bien connu selon lequel l'ignorance de la loi n'est pas une défense. Ainsi, quand des lois sont adoptées, un citoyen ordinaire ne peut pas dire: «Je n'étais pas au courant de cette loi.» En droit, aucun Canadien n'est censé ignorer la loi. L'ignorance ne peut d'aucune manière être une défense en cas de violation de la loi par une personne, que ce soit par négligence ou par omission. Selon l'essence de la loi, quand le Parlement a terminé ses délibérations, le monarque sanctionne la mesure pour attirer l'attention des citoyens sur l'adoption d'une loi et pour rappeler que l'ignorance ne peut être invoquée. Je comprends les arguments défendus par le sénateur Poulin et d'autres sur cette question, mais l'essence de la sanction réside dans ce principe.

Par l'effet de la désuétude et de l'habitude, nous avons relégué cette cérémonie à un lieu et une heure qui ne nous plaisent pas, c'est-à-dire le jeudi soir, alors que ce moment ne convient pas aux sénateurs qui doivent se déplacer vers l'est ou vers l'ouest. Nous avons rejeté le principe, puis certains déplorent aujourd'hui le rejet du principe. En fait, nous avons dit que, puisque cette cérémonie était désuète, puisque les gens n'étaient pas présents et puisque les parlementaires de l'autre endroit n'y assistaient pas, le principe était inopérant. Cependant le principe demeure et on ne peut, en défense, invoquer l'ignorance de la loi. Par conséquent, lorsque nous produisons des milliers de pages d'une loi sans que la population ne sache que nous avons promulgué cette loi, il me semble que nous n'assumons pas nos responsabilités de parlementaires. Pourquoi débattons-nous de ces questions ici? Pour renseigner la population sur les changements apportés à la loi.

Une fois le débat terminé, si nous reléguons les résultats à la seule Gazette du Canada que personne ne lit, nous faisons fi du labeur des deux Chambres. À l'occasion de la sanction royale, Sa Majesté se rend au Parlement et accepte la loi présentée par la Chambre des communes et la Chambre des lords pour bien montrer aux citoyens qu'il existe dorénavant une loi nouvelle et différente et qu'ils doivent s'y conformer. Nous n'avons pas respecté la cérémonie et la pratique, mais cela ne devrait pas nous permettre d'altérer davantage la pratique.

Il y a bien de bonnes façons d'informer la population des lois que nous promulguons. La cérémonie de la sanction royale est une occasion parfaite pour le faire. Je crois que nous devons renouveler la pratique et ne pas la reléguer aux oubliettes de l'histoire.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, j'aimerais poser une question à l'honorable sénateur Carstairs. Il s'agit de sa narration concernant les commentaires de John Aimers sur le fait d'être plus catholique que le pape.

Une voix: À l'ordre!

Le sénateur Cools: Je voulais poser une question à l'honorable sénateur Carstairs et j'attendais patiemment mon tour, comme je le fais toujours.

Le sénateur Nolin: Vous devez d'abord demander la permission.

L'honorable Fernand Robichaud (Son Honneur le Président suppléant): Honorable sénateur Cools, demandez-vous le consentement du Sénat pour poser une question au pénultième orateur?

Le sénateur Cools: Oui, honorables sénateurs. Je demande une clarification concernant la déclaration du sénateur Carstairs, clarification qui est très pertinente dans le présent débat à mon avis.

Son Honneur le Président suppléant: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président suppléant: Allez-y, sénateur Cools.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, madame le sénateur Carstairs soulève des questions extrêmement importantes. Je la félicite d'avoir mis fin à ce que je considérais comme une conduite inutile et non réglementaire à l'Assemblée législative du Manitoba. Cependant, comme il s'agit d'une assemblée législative et non pas d'un Parlement, on ne pourrait ne pas en tenir compte à ce moment-ci.

La solution consiste ici à...

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous êtes censée poser une question, et non prononcer une allocution. Vous n'obtiendrez plus jamais de permission si vous faites cela.

Le sénateur Cools: J'y viens, honorables sénateurs. Le sénateur est peut-être pressé aujourd'hui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Contentez-vous de poser la question!

Le sénateur Cools: J'ai la permission du Sénat, sénateur, et je n'ai pas l'habitude de prendre mes ordres de vous.

Le sénateur Lynch-Staunton: Prenez vos ordres du Sénat, alors!

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, le sénateur Carstairs laisse entendre que le Sénat du Canada ou des sénateurs essaient de se montrer un peu plus catholiques que le pape. Je comprends sa préoccupation. Je comprends ce qui lui fait dire cela. Toutefois, je voudrais que madame le sénateur nous dise si la situation qu'elle décrivait - soit la situation qui prévaut en Angleterre - ressemble à ce qui se passe au Canada. En Angleterre, en fait, le principal représentant de la reine, le grand chancelier...

Des voix: La question!

Le sénateur Cools: ... siège à la Chambre des lords. En conséquence, la situation n'est pas tout à fait la même car, comme ne l'ignore pas le sénateur Carstairs, le grand chancelier est le principal représentant de la reine et est ainsi nommé parce qu'il a le pouvoir d'annuler les ordres et les lettres patentes de la reine. Je lui demande si elle pense que sa comparaison est juste.

Le sénateur Carstairs: Je serai claire, honorables sénateurs. La comparaison n'a rien à voir avec ce qui arrive au Royaume-Uni en ce qui concerne le chancelier ou l'Échiquier ou le grand chancelier. Il s'agit de savoir si une cérémonie qui a cours au Canada - et qui n'a plus cours en Grande-Bretagne - est nécessaire.

(1630)

Autrement dit, il s'agit de savoir si la sanction royale est une activité symbolique inutile au Canada, alors que la majorité de nos traditions - mais pas la totalité, car, après tout, nous formons une fédération, contrairement à la Grande-Bretagne - viennent du modèle des parlements, modèle qui a décidé qu'il n'est plus nécessaire de procéder à cette cérémonie.

Si vous me passez l'expression, devons-nous être plus catholiques que le pape? Devons-nous être plus monarchistes, plus traditionalistes, plus enclins à faire des cérémonies officielles qu'ils ne le sont au Royaume-Uni? Il semble que la réponse de M. Aimers soit oui.

(Sur la motion du sénateur Corbin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools propose: Que le projet de loi S-9, Loi modifiant le Code criminel (détournement de la justice), soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, ce projet de loi vise essentiellement à régler le problème que constitue le recours à de fausses allégations d'agression sexuelle sur la personne d'enfants, allégations courantes dans des procédures judiciaires et des litiges liés à la garde d'enfants. J'aurais voulu, honorables sénateurs, parler plus longuement de cette question aujourd'hui, mais vu l'heure tardive, je pense que je devrai proposer d'ajourner le débat et continuer un autre jour.

(Sur la motion du sénateur Cools, le débat est ajourné.)

Le Code criminel
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Cools, appuyée par l'honorable sénateur Watt, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-247, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (peines consécutives).-(L'honorable sénateur Di Nino).

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, le projet de loi C-247 vise à modifier le Code criminel en ce qui a trait aux peines cumulatives. Cette mesure législative a été réincarnée plusieurs fois depuis 1996 par une députée de l'autre endroit, contre la volonté du Cabinet, semble-t-il. Cette députée a persisté et, avec l'appui des autres partis, a enfin réussi à convaincre le gouvernement du bien-fondé de son projet de loi, qui a été adopté à l'étape de la troisième lecture à l'autre endroit le 7 juin 1999.

Avant de continuer mon bref discours, je pense qu'il serait à propos de citer un extrait du débat sur ce projet de loi à l'autre endroit. Durant une législature précédente, l'auteur du projet de loi a dit ceci:

Depuis que j'ai présenté ce projet de loi, il m'a été trop souvent donné de faire la connaissance de victimes qui sont de plus en plus nombreuses à se rendre compte qu'elles sont aussi les victimes du Parlement. Qu'elles aient perdu des enfants, un père ou une mère ou encore un conjoint, elles ont toutes perdu confiance dans les tribunaux, dans la Commission des libérations conditionnelles, et surtout dans le Parlement.

Ce projet de loi est fondé sur un principe que nous acceptons dans notre common law, soit le principe selon lequel les crimes contre les personnes et contre la propriété doivent être punis et les victimes de crimes ont droit à la justice. Ce projet de loi rétablit la justice telle qu'elle doit être faite en permettant que la peine soit proportionnelle au crime.

Trop souvent, la peine imposée n'a rien à voir avec le crime lui-même. Ce projet de loi ferait en sorte que les peines soient proportionnelles au crime, renforcerait le bon travail exécuté par les membres de nos organismes d'application des lois et de notre système judiciaire et verrait à ce qu'on fasse vraiment preuve de compassion envers les victimes et leurs familles.

Le projet de loi C-247 exigerait que les peines imposées pour une agression sexuelle et pour toute autre infraction découlant des mêmes événements soient purgées de façon consécutive, reflétant ainsi le caractère odieux de ces crimes. Il exigerait aussi que la portion obligatoire de chaque peine imposée pour meurtre au deuxième degré soit purgée de façon consécutive. Ce projet de loi ne touche que deux groupes dans notre société: les tueurs en série ou les violeurs en série.

En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, tous les Canadiens ont le droit d'être protégés contre les traitements ou peines cruels et inusités, aussi les tribunaux imposent-ils habituellement des sentences qui répondent à certains critères objectifs comme la prévention du crime, la réinsertion sociale, le caractère raisonnable des peines et la protection de la société. Souvent, des peines concurrentes sont imposées de sorte qu'une partie proportionnelle de chaque peine est véritablement purgée. Lorsque plusieurs infractions sont commises lors d'un seul événement, les tribunaux imposent des sentences concurrentes. Si les infractions sont commises lors de différents événements, des peines consécutives sont imposées. Aujourd'hui, selon le Code criminel, il n'existe aucune disposition permettant de tenir compte du nombre de victimes ou du nombre d'infractions pour ce qui est de l'inadmissibilité à une libération conditionnelle. Si le projet de loi est adopté, il donnera aux juges le pouvoir de déclarer inadmissibles à une libération conditionnelle les auteurs de meurtres multiples. Selon la nature des crimes commis, ce pouvoir discrétionnaire permettrait à un juge de décider de ne pas ajouter une période d'emprisonnement pour le deuxième crime ou d'ajouter entre un jour et 25 ans de plus.

Le projet de loi est réaliste aussi parce qu'il empêche les tribunaux d'imposer des peines plus longues que la durée de vie normale d'un être humain. Dans les faits, nous garantissons qu'il est fait justice à la deuxième, la troisième ou la onzième victime.

Dans la plupart des affaires criminelles, ce genre de disposition n'aurait que peu de répercussions, mais, dans le cas d'un viol ou d'un meurtre, la loi actuelle contient des zones d'ombre qui laissent bien des victimes et des familles de victimes perplexes voire dégoûtées et les rend cyniques et méfiants, comme bien d'autres Canadiens, envers notre système de justice. Pire que la tristesse que provoque chez moi ce genre de crime, il y a l'exaspération que je ressens lorsque je vois notre système de justice permettre à des individus comme Clifford Olson de recevoir une attention publique et une tribune où demander une libération après avoir purgé seulement 15 ans de pénitencier.

Il est intéressant de voir que, après 15 ans, Clifford Olson a réussi à convaincre un membre du personnel d'un pénitencier de dire à quel point il était un homme sympathique dont il ne craignait rien. Ce membre du personnel a témoigné en faveur de Clifford Olson. Il pouvait bien ne rien craindre de lui puisqu'il n'était pas un enfant.

Le projet de loi nous donne la possibilité de réintroduire un peu de dignité dans le système. Les Canadiens, peu importe leur allégeance politique ou dans quelle partie du Canada ils habitent, pensent la même chose. Plus de 90 p. 100 des Canadiens sont en faveur d'une loi rendant inadmissibles aux libérations conditionnelles les auteurs de meurtres multiples ou d'agressions sexuelles multiples. Ce pourcentage serait encore plus élevé si les tribunaux pouvaient utiliser une telle disposition comme ils l'entendent.

(1640)

Honorables sénateurs, c'est l'occasion pour nous de rétablir la confiance dans notre système de justice et de promettre aux familles des victimes de ces crimes atroces que justice sera rendue.

(Sur la motion du sénateur Di Nino, le débat est ajourné.)

La liberté religieuse en Chine en rapport avec les pactes internationaux des Nations Unies

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Wilson, attirant l'attention du Sénat sur la liberté religieuse en Chine en rapport avec les pactes internationaux des Nations Unies.-(L'honorable sénateur Poy).

L'honorable Vivienne Poy: Honorables sénateurs, je voudrais avant toute chose présenter mes meilleurs voeux à chacun d'entre vous en cette nouvelle année du Dragon.

Je voudrais parler de l'interpellation sur la liberté religieuse en Chine qui a été soulevée par le sénateur Wilson et à propos de laquelle les sénateurs Austin et Di Nino se sont déjà prononcés.

Étant la première personne d'origine chinoise à siéger à cette Chambre, j'espère pouvoir apporter un éclairage nouveau sur ce dossier, notamment en ce qui concerne les traits caractéristiques culturels et historiques de la Chine et la façon dont ils façonnent son approche des droits de la personne. S'agissant d'un sujet aussi complexe et émotif que les droits de la personne, il est facile de laisser nos passions et la rhétorique prendre le dessus sur l'ouverture d'esprit et la logique.

Il est important que, dans cette Chambre, nous préférions l'éducation à la confrontation. Sinon, nous risquons de perdre de vue l'objectif commun que nous poursuivons dans le cadre de cette interpellation, à savoir le respect suprême de la vie, de la liberté et de la dignité de la personne en Chine, au Canada et ailleurs dans le monde.

Cette interpellation vient à point nommé étant donné que la Chine a récemment signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous espérons que la Chine ratifiera bientôt ces documents importants. Toutefois, à la réunion de la Commission des droits de l'homme de l'ONU qui aura lieu le mois prochain à Genève, les États-Unis présenteront une résolution ayant trait aux pratiques de la Chine en matière de droits de la personne.

Il y a environ un mois, nous avons fêté le début d'une nouvelle année et d'un nouveau millénaire. Un événement aussi marquant donne l'occasion de réfléchir aux événements, réalisations et échecs du passé. Je suppose que les historiens verront les 100 dernières années comme une période de profond paradoxe. En effet, le XXe siècle a été le plus sanglant dans l'histoire de l'humanité, alors que des millions de gens ont souffert et ont perdu la vie à la suite de guerres, de conflits régionaux et de génocides. Nous avons vu à quel point l'humanité pouvait tomber bas à la suite des actions de divers régimes totalitaires et d'États prétendant avoir un plus grand respect de la vie humaine. Le XXe siècle a été également témoin du démantèlement des empires coloniaux, de l'établissement des Nations Unies en tant que moyen de résoudre les conflits entre États et de l'adoption d'accords internationaux sur les droits de la personne.

De nos jours, les nations n'ont pas le luxe de se juger elles-mêmes. Les actions d'un État sont de plus en plus jugées par le tribunal de l'opinion publique internationale. La notion de droits de la personne est devenue si importante que l'année dernière, l'OTAN s'est lancée en guerre dans les Balkans en réponse, à ce qu'on nous a dit, aux violations des droits de la personne au Kosovo. Ce conflit, ainsi que ceux au Timor oriental et en Tchétchénie, débordent la portée de cette interpellation, mais en fin de compte, ils attirent notre attention sur la question centrale qu'est le droit d'États souverains de dicter leur conduite à d'autres États souverains en matière de politique interne. Dans quelle mesure cela est-il efficace?

Toute discussion sur les droits de la personne, quel que soit le pays ou la culture dont il est question, attire notre attention sur les relations entre l'État et ses citoyens. L'examen de ces relations nous amène à répondre aux questions suivantes: Quels droits détenons-nous en tant qu'êtres humains? La notion de droits de la personne telle que définie par l'Ouest est-elle applicable de façon universelle? Quel est l'équilibre voulu entre les droits de l'individu et les droits de la collectivité? Ce sont des questions qui ont posé des problèmes au XXe siècle et auxquelles nous serons confrontés davantage à l'avenir.

L'approche de l'Ouest à l'égard des droits de la personne fait souvent fi des périodes les plus sombres de sa propre histoire. Les actions de l'Allemagne nazie et la ségrégation aux États-Unis montrent que l'Ouest n'a pas appuyé les droits de la personne de façon uniforme depuis que cette notion est apparue pour la première fois au Siècle des lumières.

Même au Canada, le traitement réservé aux Premières nations et aux immigrants non blancs ainsi que l'internement des Canadiens d'origine japonaise durant la Seconde Guerre mondiale montrent que la lutte pour les droits de la personne n'est jamais terminée même si des gouvernements canadiens successifs ont cherché à corriger ces erreurs.

Les droits de la personne tels que définis dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies est un concept assez récent. Jusqu'au XVIIe siècle, les sociétés occidentales attachaient autant d'importance aux devoirs qu'aux droits des citoyens. Depuis, le concept des droits de la personne varie selon les cultures, on a reproché à l'Ouest d'imposer aux cultures une interprétation qui ne correspond pas à leur passé historique et culturel.

Cet argument se reflète dans l'oeuvre du philosophe indien R. Pannikar qui a écrit que:

Les droits de la personne sont une fenêtre permettant à une culture donnée d'envisager un ordre humain juste pour les individus appartenant à cette culture.
Ce sentiment est certes reflété dans l'approche adoptée par le gouvernement chinois à l'égard des droits de l'homme. Beijing a argué que l'interprétation et la mise en oeuvre de normes internationales en matière de droits de la personne varient selon le passé historique et culturel ainsi que le niveau de développement économique. La Chine adopte une approche extrêmement prudente à l'égard des définitions occidentales des droits civils et politiques.

Si nous devons être sensibles aux différences culturelles, car elles existent, on ne devrait pas se servir de ces différences pour tenter d'expliquer les violations systématiques des droits de la personne. En dépit de leurs différences, les cultures ont et auront toujours l'humanité pour dénominateur commun.

Pour comprendre les actions du gouvernement chinois, nous devons reconnaître la nature plus collectiviste de la société chinoise et le rôle que la religion a joué dans son histoire. Ne pas le faire risque de mener à des accusations d'impérialisme culturel. J'ai trouvé les remarques qu'ont faites le sénateur Wilson et le sénateur Austin à propos de cet aspect de l'enquête particulièrement intéressantes. Les explications détaillées que le sénateur Wilson a données en ce qui concerne l'approche de la Chine à l'égard de la religion sont particulièrement révélatrices, de même que sa remarque à propos de la presse occidentale qui souvent rapporte des cas d'arrestation ayant à voir avec la religion sans autre explication qu'«il y a eu atteinte à la loi chinoise».

(1650)

Dans la Chine traditionnelle, on mettait l'accent sur l'humanité, également connue sous le nom d'humanisme confucéen. Mencius enseignait que les gens sont plus importants que les chefs d'État et qu'ils ont donc le droit de renverser les tyrans. Des siècles avant que les civilisations européennes n'abandonnent le concept de droit divin des rois, le concept de «droits du peuple» existait en Chine.

Les concepts d'égalité et de souveraineté populaire ont existé très tôt dans la pensée chinoise, mais ils n'ont pas conduit à une structure politique protégeant les droits de la personne. C'est parce que, dans la Chine moderne, le pouvoir s'est de plus en plus concentré entre les mains de quelques-uns. Jusqu'à la révolution de 1911, les censeurs impériaux étaient en mesure de critiquer la manière dont l'empereur exerçait son pouvoir.

Au cours des siècles passés, un certain nombre de rébellions politiques en Chine ont pris un accent religieux ou mystique et elles sont nombreuses à avoir contribué à la chute des grandes dynasties. Je suis certaine que les leaders connaissent bien leur histoire.

Pour souligner le rôle joué par la religion dans l'histoire politique de la Chine, je vais dire quelques mots de la rébellion de Taiping qui a débuté en 1850. La société du culte de Dieu a proclamé le royaume céleste de la grande paix à Nanjing en 1851. Le chef, Hung Hsiu Ch'uan, prétendait être le jeune frère de Jésus. Le mouvement s'est répandu dans tout le sud de la Chine. L'endoctrinement religieux a été utilisé pour contrôler la population dans les territoires conquis. Il a fallu 14 ans au gouvernement impérial pour venir à bout de la rébellion et cela a coûté la vie à 30 millions de gens, ce qui représente environ 10 p. 100 de la population de la Chine à cette époque. Cela représente la totalité de la population canadienne d'aujourd'hui.

Je peux comprendre pourquoi le gouvernement chinois souhaite éviter ce genre de perturbations de la part d'un large segment de sa population, particulièrement lorsqu'il s'active à mettre en place les réformes économiques jugées nécessaires pour que la Chine rattrape les pays industrialisés.

Le concept de John Stuart Mill de «plus grand bien pour le plus grand nombre» est une philosophie acceptée depuis longtemps en Chine.

Au XXe siècle, Wu Ching-Hsiung, auteur du premier et très libéral écrit constitutionnel du gouvernement nationaliste chinois, a écrit dans les années 20:

Les Occidentaux, dans la lutte pour la liberté, ont pris l'individu comme point de départ. Nous, maintenant, dans notre lutte pour la liberté, prenons le groupe comme point de départ [...] Comme nous voulons sauver la nation et la race, nous ne pouvons qu'exiger de chaque individu qu'il sacrifie sa propre liberté afin de préserver celle du groupe.

Chang Fo-chùan, diplômé de l'Université Johns Hopkins et professeur à l'Université de Pékin pendant les années 20, croyait qu'aucun aspect de l'existence de l'individu ne pouvait être inviolé. «La liberté, disait-il, est publique, et non privée», et concerne les besoins de la société aussi entièrement que ceux de l'individu. Sun Yat-sen, vers la fin de sa vie, soutenait que «ce que la Chine exigeait, ce n'était pas la liberté de l'individu, mais la liberté de l'État». Voilà les conceptions philosophiques de certains des intellectuels les plus importants de la Chine de la première moitié du XXe siècle.

Dans le projet préliminaire révisé de la Constitution chinoise des années 20 sous le gouvernement nationaliste, l'article sur la liberté religieuse prévoyait ceci:

Tous les citoyens jouiront de la liberté de croyance religieuse; cette liberté ne sera pas limitée sauf conformément à la loi.

Pas grand-chose n'a changé depuis. Le gouvernement chinois soutient aujourd'hui que les individus devraient être sacrifiés au besoin pour la collectivité et que les autorités devraient décider de ce qui est bon pour cette collectivité.

Tant qu'un pays est gouverné par un système de parti unique, comme en Chine, où le Parti communiste est consacré dans la Constitution comme la «dictature du prolétariat», le concept des droits de l'homme est soumis à l'interprétation du parti. «Droits de l'homme», en chinois, signifie «pouvoir de l'homme», et la lutte pour les droits de l'homme est perçue par le gouvernement comme une lutte pour le pouvoir politique et donc comme une menace contre l'establishment.

Comme la liberté religieuse rentre dans le cadre des droits de l'homme ou du «pouvoir de l'homme», les deux notions sont considérées comme identiques. Par comparaison au projet de constitution de 1920, l'article 36 de la Constitution chinoise de 1982 garantit la liberté religieuse. Une deuxième disposition limite cependant cette garantie aux «activités religieuses normales». L'adjectif «normal» n'est pas défini, et l'utilisation de la religion pour perturber l'ordre public est interdite.

Aucune organisation religieuse étrangère n'est autorisée à contrôler une congrégation chinoise. Historiquement, les impérialistes occidentaux se sont servis de la religion comme prétexte pour dominer les Chinois et obtenir des concessions de leur part. Cela ne veut absolument pas dire que c'était l'intention des missionnaires qui se sont rendus en Chine. La majorité d'entre eux ont simplement été utilisés par leurs gouvernements à des fins politiques. Depuis le XIXe siècle, bon nombre de Chinois sans foi ni loi se sont convertis au christianisme uniquement pour pouvoir se servir des églises occidentales et, partant, des gouvernements occidentaux, pour se mettre à l'abri de la loi chinoise. Le recours à des missionnaires par le gouvernement allemand en vue d'obtenir des concessions dans la province de Shandong constitue un exemple manifeste de cette situation. On sait que le kaiser Guillaume II a dit qu'il aurait de plus vastes droits territoriaux en Chine si seulement il avait eu plus de missionnaires.

Le gouvernement chinois actuel reconnaît et autorise cinq mouvements religieux: le bouddhisme, le catholicisme, le protestantisme, le taoïsme et l'islamisme. Chacune des cinq religions sanctionnées est supervisée par une «association patriotique» qui fait rapport au Bureau des affaires religieuses du gouvernement. Bien qu'elle soit florissante, l'activité religieuse non enregistrée est illégale et demeure une infraction punissable.

Une telle ligne de conduite en matière de religion nous semble étrangère en tant que Canadiens jusqu'à ce que nous comprenions les expériences historiques et culturelles uniques de la Chine dans ce domaine.

Cette question illustre un des principaux points litigieux dans la discussion entourant les droits de la personne en Chine, plus précisément les différends découlant de l'interprétation occidentale et chinoise des droits de la personne.

À la discussion entourant les valeurs «asiatiques» par rapport aux valeurs «occidentales» vient s'ajouter le débat visant à déterminer si les droits de la personne devraient prendre le pas sur le développement économique et social. On a laissé entendre que les droits collectifs comme le «droit au développement» sont plus importants et concordent davantage avec les valeurs chinoises que la préoccupation apparente de l'Occident en ce qui concerne les droits civils et politiques. De fait, l'attitude du gouvernement chinois à l'égard des droits de la personne se fonde sur le principe selon lequel les droits de subsistance revêtent une importance primordiale et les droits civils et politiques sont secondaires.

Feu Julius K. Nyerere, fondateur de la Tanzanie moderne, a sans doute le mieux exprimé cette idée. Il a dit:

De quelle liberté jouit notre agriculteur qui fait de l'agriculture de subsistance? Il réussit à peine à subsister en cultivant le sol pourvu que les pluies soient au rendez-vous; ses enfants travaillent à ses côtés et n'ont pas de scolarité, de soins médicaux ou même de bonne alimentation. Il a certes la liberté de voter et de s'exprimer à son gré. Toutefois, ces libertés sont pour lui beaucoup moins réelles que sa liberté d'être exploité. Ce n'est qu'avec l'atténuation de sa pauvreté que sa liberté politique actuelle deviendra vraiment utile et que son droit à la dignité humaine deviendra un fait de la dignité humaine.

Le président Li Tieying, de l'Académie chinoise des sciences sociales, m'avait tenu des propos en ce sens lors de sa visite au Canada en octobre 1988. Il avait dit:

À quoi sert-il d'avoir des droits et des libertés quand on n'a pas un gîte et un couvert adéquats?

Chose certaine, le principe du plus grand bien pour le plus grand nombre semble à première vue constituer un argument de taille justifiant de retarder la reconnaissance des droits de l'individu, par exemple la liberté de religion. Les différents pays ont régulièrement justifié les violations des droits de l'homme perpétrées sur leur territoire par des impératifs de développement national.

Les gouvernements autoritaires n'ont cependant tout simplement pas réussi à prouver de façon réaliste que la liberté de pensée et de parole et la possibilité de créer des organisations pour le peuple et de lui permettre la libre critique de ses dirigeants étaient incompatibles avec les droits de subsistance et de développement. Les études statistiques n'étayent pas la théorie voulant que les droits civils et politiques entravent le rendement économique.

(1700)

Son Honneur le Président pro tempore: Sénateur Poy, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous la permission de poursuivre?

Le sénateur Poy: Oui.

Son Honneur le Président pro tempore: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président pro tempore: Poursuivez, je vous prie.

Le sénateur Poy: Honorables sénateurs, la Déclaration de Vienne de 1993 sur les droits de l'homme stipule ceci:

[...] tandis que le développement facilite la jouissance des droits de l'homme, l'absence de développement ne saurait être invoquée pour justifier la diminution des droits de l'homme reconnus par tous les pays.

En effet, il est de plus en plus évident que le développement durable suppose un engagement envers le respect des droits civils et politiques. Si la responsabilité et la transparence gouvernementales sont garanties, les droits civils et politiques peuvent contribuer à orienter la croissance économique vers le développement national.

De ce lien entre développement et droits de la personne découle l'affirmation selon laquelle les droits civils et politiques doivent céder le pas au maintien de l'ordre et de la stabilité, notamment dans un pays aussi vaste et populeux que la Chine. Nous reconnaissons que la société chinoise diffère grandement de celle du Canada. Nous sommes conscients que, étant donné son immense population, la société chinoise doit faire face à de nombreux enjeux concernant la liberté d'expression, de religion et de rassemblement que nous, Canadiens, n'examinons que dans l'abstrait. Cependant, il ne peut y avoir aucune coexistence pacifique à long terme entre différents groupes religieux et culturels et différents territoires, sans que soient posées les assises du respect des droits à la dignité humaine. Un silence forcé ne peut que donner l'illusion que l'ordre règne.

Pourquoi le gouvernement chinois est-il si préoccupé par l'agitation civile des dernières années? La suppression de la liberté personnelle a toujours existé, mais a rarement été signalée par la presse occidentale. Avec l'ouverture du commerce chinois sur l'Occident, et à cause d'Internet, le reste du monde est beaucoup plus conscient de ce qui se passe en Chine.

Les réformes économiques de Deng Xiaoping ont apporté la prospérité à la Chine, mais la richesse est concentrée dans les mains de quelques rares privilégiés. Des dizaines de millions de paysans ont été chassés des terres à cause de l'industrialisation et du développement, et ils errent dans le pays, en quête de travail. Des industries de l'État non rentables sont démantelées et les travailleurs urbains ont perdu non seulement leur emploi, mais également leur programme social de protection du revenu. Le sentiment de perte et d'insécurité qu'éprouve la population est canalisé vers l'espoir qu'offrent la religion, le mysticisme et même des exercices traditionnels dont on croit qu'ils guérissent le corps, surtout lorsqu'une grande partie de la population a perdu le régime gouvernemental de soins médicaux qui allait de pair avec les emplois.

Internet demeure la plus grande menace pour le gouvernement chinois. Les gens instruits du pays peuvent être mobilisés instantanément, comme nous l'avons vu à la télévision, l'été dernier, au sujet du mouvement Falun Dafa. Je crois cependant que les arrestations massives ne feront qu'accroître l'instabilité en Chine.

La population chinoise a besoin d'un exutoire pour se libérer de sa frustration refoulée, qui découle d'un bouleversement économique. Le seul moyen est de démocratiser le régime de gouvernement en donnant à la population une plus grande maîtrise sur sa vie. Brimer la liberté ne garantit pas la stabilité à long terme dans quelque pays que ce soit.

Honorables sénateurs, avant de conclure, je dois répondre au sénateur Di Nino qui a laissé entendre que les migrants chinois récemment arrivés au Canada se sont embarqués sur des rafiots parce qu'on viole les droits de la personne en Chine. Je cite ici un migrant chinois illégal - je dis bien illégal - habitant maintenant aux États-Unis. Lorsqu'on lui a demandé s'il était plus libre aux États-Unis ou en Chine, il a immédiatement répondu qu'il était plus libre en Chine. On lui a alors demandé pourquoi il avait accepté tant de souffrances dans le seul but de se rendre aux États-Unis et il a répondu: «pour la sécurité économique».

Comme l'a souligné le sénateur Austin, la Chine essaie de s'améliorer sur le plan des droits de la personne, en partie grâce à l'ouverture du pays aux changements technologiques et à la circulation des informations et des idées. Le gouvernement chinois a fait des efforts considérables pour instaurer la primauté du droit et créer un système judiciaire fondé sur les mêmes principes que ceux des pays occidentaux. À titre de Canadiens, nous devrions accueillir favorablement ces changements. Le Canada oeuvre de concert avec le gouvernement chinois dans le dossier des droits de la personne. Les deux pays sont engagés dans un dialogue constructif sur ces questions et le Canada aide la Chine dans la réforme de ses structures législatives et judiciaires.

Cela dit, je crois tout de même que l'amélioration sur le plan des droits de la personne viendra de l'intérieur, propulsée par la jeune génération. Ce qu'on peut accomplir entre gouvernements est limité, surtout lorsqu'un des deux gouvernements en cause est un gouvernement autoritaire.

En ces temps de mondialisation, le déluge d'informations transmises sur Internet est le plus grand égalisateur de tous. Les pays ne peuvent plus construire des murs pour retenir leurs citoyens. Les jeunes Chinois ont de plus en plus accès à des informations venant de partout au monde et peuvent en disséminer sur toute la planète. La jeunesse ayant davantage accès à l'éducation et à de meilleures possibilités économiques, les futurs dirigeants de la Chine veulent ce que le reste du monde veut aussi, soit la sécurité économique et la liberté individuelle.

Honorables sénateurs, pour que les démocraties occidentales puissent agir sur le respect des droits de la personne en Chine, il faut maintenir le dialogue. L'amitié et le commerce sont les deux outils d'influence les plus utiles.

Un ancien proverbe chinois dit que bien des chemins mènent au sommet de la montagne, mais que la vue d'en haut est toujours la même. Je crois que la Chine grimpe la montagne. Elle atteindra la cime, comme le Canada et d'autres pays industrialisés, mais en suivant un chemin différent.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je me demande si madame le sénateur Poy accepterait de répondre à quelques questions.

Le sénateur Poy: Oui, si je peux y répondre.

Le sénateur Kinsella: Je crois que ce sera un peu difficile, si j'ai bien compris ce que vous avez dit. Tout d'abord, êtes-vous d'avis que les droits de la personne ont un lien avec la culture?

Le sénateur Poy: C'est le cas en ce qui concerne la compréhension des droits de la personne parce que tous ont une façon différente de voir la chose. Ce que je disais, c'est que les Chinois comprennent les droits de la personne d'une façon différente. Notre façon de voir les choses est influencée par l'Occident. Je ne veux pas insinuer que ce n'est pas correct. C'est correct, mais tout le monde doit apprendre le même système. Toutefois, puisque le pays est tellement différent, l'approche doit également être différente.

J'énonce un fait. Je ne veux pas dire que ce qu'ils font n'est pas correct. Je tente simplement d'expliquer ce qui se passe, à mon avis.

Le sénateur Kinsella: Je me demande si l'honorable sénateur est d'avis qu'il n'y a pas d'unité dans les droits de la personne, que les droits économiques, sociaux et culturels ont un certain lien économique avec les droits civils et politiques? Êtes-vous d'avis qu'il n'y a pas d'unité dans les droits de la personne?

Le sénateur Poy: Je crois que ce devrait être le cas, mais à l'heure actuelle en Chine, ce ne l'est pas. Espérons que la situation sera bientôt réglée.

Le sénateur Kinsella: Madame le sénateur pourrait-elle nous faire savoir si elle croit qu'il y a une différence entre une justification d'un droit de la personne donné et la reconnaissance internationale d'un droit de la personne donné. Par exemple, la liberté de conscience et la liberté de religion sont reconnues dans le droit international conventionnel et le sénateur a souligné que la Chine a soumis les instruments de ratification du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques. Madame le sénateur est-elle d'avis que le droit international qui reconnaît la liberté de religion est une chose et que la justification philosophique est une tout autre chose?

(1710)

Le sénateur Poy: Je ne crois pas cela, honorables sénateurs. J'essaie d'expliquer ce qui se passe. Historiquement, c'est ce qui est arrivé en Chine. Il faut du temps pour que les dirigeants apprennent à faire les choses autrement. Quand la Chine rejoindra les pays occidentaux sur le plan économique, les gens pourront s'exprimer et apprendre davantage. À l'heure actuelle, c'est un peu comme si on comparait des pommes et des oranges.

Le sénateur Kinsella: Madame le sénateur est-elle en train de nous dire que le gouvernement de la Chine respecte la liberté de religion? Elle nous a informés que le gouvernement chinois a un bureau des religions qui approuve cinq religions. Est-ce que la liberté de religion comprend le judaïsme en Chine?

Le sénateur Poy: Selon mes informations, il n'y en a que cinq. Je ne puis en dire davantage. Si le sénateur Wilson était ici, elle pourrait répondre mieux que moi à la question.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Andreychuk, le débat est ajourné.)

Les Canadiens éminents et leur rôle au Royaume-Uni

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Cools attirant l'attention du Sénat sur:

a) les personnes nées au Canada qui ont siégé à la Chambre des communes du Royaume-Uni, y compris le natif de l'Ontario Edward Blake, ministre de la Justice du Canada de 1875 à 1877 et chef du Parti libéral du Canada de 1880 à 1887, le natif du Nouveau-Brunswick le très honorable Bonar Law, premier ministre du Royaume-Uni de 1922 à 1923, et le natif de l'Ontario sir Bryant Irvine, vice-président de la Chambre des communes du Royaume-Uni de 1976 à 1982;

b) les personnes nées au Canada qui ont siégé à la Chambre des lords du Royaume-Uni, y compris le très honorable Richard B. Bennett, premier ministre du Canada de 1930 à 1935, et lord Beaverbrook, ministre du Royaume-Uni en 1918 et de 1940 à 1942;

c) les Britanniques de naissance nés au Royaume-Uni ou dans les dominions et colonies qui ont siégé au Sénat et à la Chambre des communes du Canada, y compris le très honorable John Turner, premier ministre en 1984 et chef de l'Opposition libérale de 1984 à 1990, et moi-même, sénateur noire en exercice née dans les Antilles britanniques;

d) les personnes de citoyenneté canadienne qui ont fait partie du Conseil privé du Royaume-Uni, y compris les premiers ministres du Canada, les juges en chef de la Cour suprême et certains ministres canadiens dont le leader du gouvernement au Sénat de 1921 à 1930 et de 1935 à 1942, le très honorable sénateur Raoul Dandurand, qui a été nommé au Conseil privé du Royaume-Uni en 1941;

e) la résolution Nickle de 1919, une motion de la Chambre des communes du Canada en vue d'une adresse à Sa Majesté le roi George V, et les propos que le premier ministre R.B. Bennett a tenus en 1934 à son sujet:

«C'était aussi inefficace en droit que possible. Non seulement c'était inefficace, mais c'était aussi, je regrette de le dire, un affront au souverain lui-même. N'importe quel avocat de droit constitutionnel ou quiconque se donne la peine d'étudier cette question s'en rend bien compte.»;

f) les propos que le premier ministre R.B. Bennett a tenus en 1934 dans une lettre au député J.R. MacNicol:

«Tant que je resterai citoyen de l'Empire britannique et loyal sujet du roi, j'entends reconnaître au souverain la prérogative de reconnaître les services de ses sujets.»

g) les nombreux distingués Canadiens qui ont depuis 1919 reçu des honneurs du roi ou de la reine du Canada, y compris l'élévation à l'ordre de la chevalerie en 1934 de sir Lyman Duff, juge en chef de la Cour suprême du Canada, en 1935 de sir Ernest MacMillan, musicien, en 1986 de sir Bryant Irvine, parlementaire, en 1994 de sir Neil Shaw, industriel, et en 1994 de sir Conrad Swan, conseiller du premier ministre Pearson au sujet du drapeau national du Canada;

h) les nombreux distingués Canadiens qui ont reçu 646 honneurs et décorations de souverains étrangers non britanniques et non canadiens entre 1919 et février 1929;

i) la position juridique et constitutionnelle des Canadiens de naissance et de citoyenneté concernant leur aptitude ou leur inaptitude à siéger à la Chambre des lords et ou à la Chambre des communes du Royaume-Uni, notamment les Canadiens domiciliés au Royaume-Uni et jouissant de la double citoyenneté du Canada et du Royaume-Uni;

j) la position juridique et constitutionnelle des Canadiens domiciliés au pays ou à l'étranger concernant leur droit de recevoir des honneurs et des distinctions de leur propre souverain, la reine Elizabeth II du Canada, ainsi que leur droit de recevoir des honneurs et des distinctions de souverains autres que le leur, y compris le souverain de la France, l'honneur de l'Ordre royal de la Légion d'honneur;

k) les honneurs, les distinctions et les décorations qui ne sont pas héréditaires comme la pairie à vie, l'élévation à l'ordre de la chevalerie et les ordres militaires et de chevalerie;

l) la recommandation par le premier ministre britannique Tony Blair à Sa Majesté la reine Elizabeth II portant de nommer comme membre non héréditaire de la Chambre des lords Conrad Black, un distingué éditeur et entrepreneur canadien et colonel honoraire des Governor General's Foot Guards du Canada.-(L'honorable sénateur LeBreton).

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour prendre part au débat sur l'interpellation du sénateur Cools concernant les Canadiens éminents et leur rôle au Royaume-Uni. Au fil des ans, un certain nombre de Canadiens ont reçu des honneurs bien mérités du Royaume-Uni en dépit de l'existence de la résolution Nickle de 1919. Le sénateur Cools en a donné des exemples dans son exposé.

Il y a des exemples plus récents que les sénateurs devraient connaître. Eleni Bakopanos, qui siège à l'autre endroit, a récemment reçu un honneur du Portugal. Mon ami, le regretté Peter Bosa, entre autres, a reçu un honneur de l'Espagne il y a quelques années.

Conrad Black est un Canadien respecté qui a fait une carrière réussie dans le monde des affaires à l'échelle internationale. La Reine et le gouvernement du Royaume-Uni ont décidé de lui accorder un titre honorifique en reconnaissance des services qu'il a rendus à ce pays. Pourquoi donc le gouvernement canadien l'empêche-t-il de recevoir ce titre honorifique? Le fait est que le premier ministre n'aime ni le National Post ni la façon dont il rapporte les bévues politiques de son gouvernement. Il me semble par conséquent que le premier ministre se sert du pouvoir de sa charge pour empêcher la nomination de M. Black à la Chambre des lords. C'est l'un des exemples les plus flagrants du penchant de M. Chrétien pour la mesquinerie politique.

J'applaudis le sénateur Cools pour avoir soulevé cette importante question. C'est avec plaisir que je procéderai à un franc échange de vues avec tous les honorables sénateurs.

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'aimerais poser une question au sénateur Di Nino, s'il me le permet.

Le sénateur Di Nino: Bien sûr, honorable sénateurs.

Le sénateur Prud'homme: Honorables sénateurs, le Canada est un pays qui a beaucoup évolué. Je me souviens avoir participé à un débats vigoureux à la Chambre des communes avec le très honorable John Diefenbaker, qui était un très bon ami à moi. C'était un grand orateur. Le sujet du débat était la modification progressive des conditions pour devenir citoyen canadien. À l'époque, il y avait des députés au Parlement du Canada qui n'étaient pas citoyens canadiens. Certaines personnes pensaient qu'on devait laisser faire. Pour ma part, je pensais qu'il fallait abolir cela immédiatement.

Nous avons fait un marché avec Élections Canada au sujet des citoyens britanniques. Mais il y avait d'autres catégories de citoyens. Il y avait les gens d'origine grecque et d'origine italienne qui étaient considérés comme appartenant à la même classe. Ceux qui étaient d'origine britannique appartenaient à une autre classe et avaient des privilèges spéciaux. Ensuite, il y avait ceux qui étaient nés au Canada et ceux qui étaient naturalisés. Progressivement, nous avons changé les règles de façon à ce que tout le monde soit sur un pied d'égalité. Nous avons décidé que plus jamais il n'y aurait des citoyens canadiens de deuxième ou de troisième classe.

Mon premier passeport disait que, comme Canadien, j'étais un sujet britannique. J'en ai eu un autre qui disait que, comme citoyen canadien, j'appartenais au Commonwealth. Mon passeport actuel dit simplement que le porteur est citoyen canadien.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, j'étais au courant moi aussi des différences dont le sénateur vient de parler. J'étais de ceux qui étaient moins canadiens que les autres. Cela ne me plaisait pas à l'époque, et cela ne me plaît toujours pas. Mais cela n'a rien à voir avec la question qui nous occupe. Ce qui nous intéresse, c'est une tradition établie. Bien des pays reconnaissent les contributions que les Canadiens ont faites au service de ces pays. C'est de cela que nous discutons.

J'ai été offensé bien plus que le sénateur Prud'homme. Au moins, il a été considéré comme Canadien. Je ne pouvais pas voter. Mais mon voisin, qui arrivait tout juste d'Angleterre, pouvait le faire. Ce fut un chapitre sombre de notre histoire, mais, à mon avis, nous parlons maintenant d'une question différente.

Nous nous demandons aujourd'hui si le premier ministre, pour des raisons personnelles, a fait obstacle à la nomination de cet homme à la Chambre des lords. Il ne m'appartient pas de dire si Conrad Black devait y être nommé. Sauf erreur, le gouvernement du Royaume-Uni et la reine avaient accepté d'accorder cet honneur à M. Black. Pourtant, une loi qui n'avait pas été invoquée depuis fort longtemps a servi à faire obstacle à cette nomination. C'est la question que je soulève. Je ne crois pas que ce soit acceptable.

(1720)

Le sénateur Prud'homme: Honorables sénateurs, j'ai une question supplémentaire. Puisque nous allons examiner la nouvelle Loi sur l'immigration et la citoyenneté, quelqu'un désire-t-il faire des observations? Je ne suis pas entièrement contre ce que veut faire madame le sénateur Cools. Il s'agit des honneurs que quelqu'un peut recevoir. Certains sont permis, d'autres ne le sont pas. Je n'y comprends rien. Certains sénateurs étaient candidats à l'obtention d'honneurs à l'étranger, mais ils ont dû y renoncer parce que leur candidature n'a pas été approuvée. Il faut obtenir la permission pour recevoir un honneur d'un autre pays.

Vous rendez-vous compte que nous sommes en voie d'affirmer que personne ne doit posséder la double citoyenneté au Canada? Cela me semble être l'objectif ultime. Je ne me rendais pas compte que vous figuriez parmi les personnes dont j'ai parlé. Je regrette le passé, mais je ne suis pas de ceux qui restent à genoux et regrettent toutes les erreurs commises. Je tiens à progresser et à améliorer l'avenir en tirant les leçons des erreurs passées. Croyez-vous que nous devrions nous acheminer lentement dan cette direction?

Le sénateur Di Nino: Premièrement, je reconnais que cela appartient au passé. Nous devrions tirer les leçons du passé et ne l'examiner que pour nous en inspirer.

J'ai une opinion différente de la vôtre à ce sujet. Je ne suis pas sûr qu'elle soit pertinente, mais si mon intervention est irrecevable, je me rassoirai. Je crois que les frontières sont une chose non naturelle créées par l'homme, et je parle ici de l'homme au masculin, pour exclure les autres. L'expérience qui se déroule actuellement en Europe, où on tente d'abattre les frontières et de faire des humains des citoyens du monde, est la solution à adopter. Je ne suis pas intéressé à construire d'autres obstacles ou d'autres frontières. Cela dit, je reconnais que tout le monde n'est pas nécessairement de cet avis et que ce genre de chose ne se fera pas du jour au lendemain. Pour répondre directement à votre question, je n'ai aucune objection à ce quelqu'un possède trois passeports ou trois citoyennetés.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, je désire poser une question. L'explication du sénateur Di Nino m'a un peu embrouillé. Je n'ai pas encore pris la parole sur cette question même si je la trouve intéressante du point de vue historique. Premièrement, l'honorable sénateur ne fait-il pas une distinction claire entre recevoir les «honneurs» et le fait d'être nommé à la Chambre des lords?

Le sénateur Di Nino: Bennett et Beaverbrook ont tous deux été nommés à la Chambre des lords après la loi de 1919. Il y a donc des précédents.

Le sénateur Grafstein: Ce n'était pas ma question. Je ne demandais pas ce qui s'est passé, mais s'il n'y a pas, dans son esprit, une distinction entre une personne qui est appelée à la Chambre des lords ou au Sénat, par exemple, et quelqu'un qui reçoit une décoration ou un autre honneur semblable. Le sénateur Di Nino a parlé du sénateur Bosa, à qui tant l'Italie que l'Espagne ont accordé de nombreux honneurs pour son travail remarquable au sein d'organisations internationales. Il y a sûrement une distinction entre ce genre d'honneurs et le fait d'être nommé à une Chambre haute. Je voulais savoir si l'honorable sénateur fait une distinction ou si, selon lui, la démarcation entre les deux est floue.

Le sénateur Di Nino: Sénateur Grafstein, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une démarcation plus ou moins floue. Vous parlez de niveaux de reconnaissance. Je ne pense pas qu'il nous appartienne, à nous, ici, de décider quelle distinction il convient à quelqu'un de recevoir dans un autre pays. Si on nous demandait à nous, en tant que Canadiens, de permettre à quelqu'un de recevoir une distinction canadienne en raison de services insignes rendus à des Canadiens, je pourrais faire une distinction. Je m'entends avec vous là-dessus. Cependant, ce n'est pas quelque chose qui doive nous préoccuper. C'est au pays qui offre la distinction d'établir ses règles. Que ce soit à tel ou tel niveau, il reste que c'est une distinction qui est offerte à un Canadien pour des services rendus à cet autre pays.

Le sénateur Grafstein: Je pourrais peut-être clarifier un point. L'honorable sénateur a présenté les exemples de Bennett et de Beaverbrook. Ces deux gentlemen ont choisi, si ma mémoire est bonne, de vivre en permanence au Royaume-Uni. C'est après avoir pris cette décision qu'ils ont été appelés à la Chambre des lords. Ai-je raison? L'honorable sénateur a cité ces deux noms comme exemples.

Le sénateur Di Nino: Je ne pourrais pas donner une réponse à cela. Tout ce que je peux dire, c'est que M. Black aurait décidé d'habiter en Angleterre si cet honneur lui avait été accordé.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, des questions merveilleusement importantes sont soulevées ici cet après-midi. Peut-être seront-elles approfondies au fil de la progression du débat.

Sénateur Di Nino, vous avez déclaré que deux parlementaires, soit la députée Eleni Bakopanos et le sénateur Bosa, avaient reçu ce que nous pouvons appeler des honneurs étrangers. Dans vos déplacements - étant donné que vous occupez un poste unique -, vous est-il arrivé de rencontrer un Canadien qui siège à la Chambre haute ou basse d'un autre pays? On m'a dit qu'il y en avait beaucoup, mais je n'ai pu encore découvrir combien il y en a ni qui ils sont. Par exemple, on m'a dit que c'était le cas d'une Canadienne en Lettonie. Oui, il y a des honneurs et des sièges dans les Parlements. Les nominations et les décisions sont le fait d'un souverain. J'ai commencé à m'intéresser aux Canadiens qui, d'une façon générale, siègent dans des Chambres ailleurs dans le monde. Avez-vous des renseignements à cet égard?

Le sénateur Di Nino: Je ne sais pas au juste si j'utiliserais le terme «Canadien». Le président de la Lettonie ou de la Lituanie était venu au Canada après la guerre, puis il est rentré en Lettonie pour s'y installer de façon permanente et a alors été élu président de la Lettonie. Dans d'autres pays qui ont ensuite fait partie de l'Union soviétique - c'est-à-dire, du bloc de l'Est - deux ou trois autres Canadiens se sont présentés aux élections législatives et ont été élus. Leurs noms m'échappent, mais je ne suis pas certain qu'ils se considèrent aujourd'hui Canadiens, sauf ceux qui étaient des Canadiens mais qui sont maintenant résidents et citoyens d'un autre pays.

Le sénateur Cools: À la Chambre des lords, il y a aussi un autre groupe de Canadiens. La nomination de Conrad Black était censée s'effectuer au titre non héréditaire de lord non héréditaire. Il semble que quelques membres héréditaires de la Chambre des lords soient des Canadiens. L'information n'est pas facile à débusquer.

Votre question est en fait de savoir si une personne ayant à la fois la citoyenneté britannique et la citoyenneté canadienne a droit à des nominations ou à des honneurs. Je vous remercie de soulever cette affaire. La reine du Canada est aussi la reine du Royaume-Uni. Je sais que c'est un point sibyllin et obscur pour bien des gens, mais il y a une reine du Canada et une reine d'Angleterre. Ce sont là des questions complexes. La position de M. Black est unique, car il a un pied dans les deux camps.

Je me suis déjà trouvée dans une situation similaire. J'appartiens à l'une des familles dont parle le sénateur Di Nino. En tant que citoyens des Antilles britanniques, nous pouvions voter au Canada alors que les Italiens ne le pouvaient pas. Je trouve ce privilège louable. Merci beaucoup, sénateur Di Nino.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, qu'on soit ou non d'accord, je crois que le sénateur Di Nino mérite au moins un abonnement à vie au National Post et que, à mon avis, le sénateur LeBreton devrait le lui offrir immédiatement.

(Sur la motion du sénateur LeBreton, le débat est ajourné.)

La défense nationale

Motion portant création d'un comité sénatorial spécial chargé d'examiner la conduite du personnel au cours de la mission en Somalie et la destruction de dossiers médicaux du personnel en mission en Croatie-Maintien au Feuilleton

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition), conformément à l'avis du 2 novembre 1999, propose:

Qu'un comité spécial du Sénat soit constitué afin d'enquêter et de faire rapport sur deux questions importantes qui touchent la conduite de la chaîne de commandement des Forces canadiennes, autant dans les opérations sur le théâtre qu'au quartier général de la Défense nationale: c'est-à-dire sa réaction aux problèmes opérationnels, décisionnels et administratifs qui se sont manifestés au cours du déploiement de forces en Somalie, dans la mesure où ces questions n'ont pas été approfondies par la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie; et les allégations selon lesquelles des troupes canadiennes ont été exposées à des substances toxiques en Croatie entre 1993 et 1995 de même que les allégations de destruction des dossiers médicaux de militaires envoyés en Croatie;

Que le comité, dans l'examen des questions précédentes, soit habilité à interroger des témoins qui, selon lui, pourraient contribuer au déroulement de l'enquête, notamment, mais non exclusivement:

1. l'actuel ministre de la Défense, quant aux deux questions spécifiées;

2. d'anciens ministres de la Défense, quant aux deux questions spécifiées;

3. le sous-ministre de la Défense nationale à l'époque, quant aux deux questions spécifiées;

4. le chef de cabinet par intérim du ministre de la Défense nationale à l'époque, quant aux incidents survenus en Somalie;

5. le conseiller spécial du ministre de la Défense nationale à l'époque (M. Campbell), quant aux incidents survenus en Somalie;

6. le conseiller spécial du ministre de la Défense nationale à l'époque (J. Dixon), quant aux incidents survenus en Somalie;

7. les personnes ayant occupé le poste de juge-avocat général pendant la période concernée, quant aux incidents survenus en Somalie;

8. le juge-avocat général adjoint-Litiges à l'époque, quant aux incidents survenus en Somalie; et

9. le chef d'état-major de la Défense et le sous-chef d'état-major de la Défense à l'époque, quant aux deux questions spécifiées.

Que sept sénateurs nommés par le comité de sélection remplissent les fonctions de membres du comité spécial, et que trois constituent le quorum;

Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, à faire produire des documents et des dossiers, à entendre des témoins assermentés, à faire rapport de temps à autre et à faire imprimer au jour le jour documents et témoignages selon les instructions du comité;

Que le comité soit habilité à autoriser, s'il le juge opportun, la radiodiffusion et la télédiffusion de la totalité ou d'une partie de ses délibérations;

Que le comité soit autorisé à retenir les services de conseillers, professionnels, techniciens, employés de bureau ou d'autres personnes nécessaires, pour l'aider à mener son étude;

Que les partis politiques représentés au comité spécial reçoivent une allocation pour la contribution de spécialistes aux travaux du comité;

Que le comité soit autorisé à voyager à l'intérieur et à l'extérieur du Canada;

Que le comité soit autorisé à siéger pendant les séances et les congés du Sénat;

Que le comité soumette son rapport un an au plus après sa formation et que, si le Sénat ne siège pas au moment où le rapport est déposé, celui-ci soit considéré comme ayant été déposé le jour où il est remis au greffier du Sénat.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, compte tenu de l'heure, je suis disposé à reporter mes remarques sur cette motion à un autre jour à la condition que le compte reste à quinze jours comme c'est le cas maintenant.

Son Honneur le Président pro tempore: Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour que le compte reste à quinze jours en ce qui a trait à la motion no 7?

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, nous acceptons la proposition voulant que la motion du sénateur Lynch-Staunton garde son rang au Feuilleton même s'il ne prend pas la parole à ce sujet aujourd'hui.

Des voix: D'accord.

(La motion est maintenue.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 9 février 2000, à 13 h 30.)


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